Le pouvoir des mots. Ainsi que Bruno de Cessole vient nous le rappeler dans une galerie de portraits volumineuse, érudite et réjouissante, voire vacharde, la fascination réciproque des politiques pour la littérature, l'écriture et les écrivains, et des écrivains pour la politique, l'action et le pouvoir, est inscrite dans l'ADN français depuis des siècles, et participe de notre fameuse « exception culturelle ». Même si, comme bien d'autres legs, nous l'avons héritée de l'Antiquité, grecque avec Démosthène, et surtout romaine avec Cicéron, César, Marc Aurèle...
Cessole, qui est un honnête homme à la manière du siècle des Lumières, a dirigé la respectable Revue des Deux Mondes et les pages culturelles de Valeurs Actuelles lorsque l'hebdomadaire était simplement de droite libérale. Il n'a pas autant publié de livres qu'il aurait pu, plus absorbé à lire ceux des autres, des essais surtout, et à en tirer la « substantifique moelle ». Le voici aujourd'hui qui joue les Suétone, portraiturant vingt-quatre hommes de plumes qui furent en même temps hommes de pouvoir, soit qu'ils l'aient exercé directement, soit qu'ils s'y soient trouvés engagés, opposés ou associés (comme Lamartine, Hugo ou Malraux). Précisons que l'auteur a choisi de se limiter aux morts (ce qui ne l'empêche pas d'étriller sèchement notre actuel Président dans son introduction). C'en est presque dommage : on aurait adoré lire ce qu'il aurait eu à dire sur la littérature de MM. Sarkozy et Hollande. Voir le chapitre sur Giscard d'Estaing, sa « vanité pharaonique » et son roman La princesse et le président (Éditions de Fallois, 2009), sans doute le nanar le plus affligeant de toute la galaxie. Abracadabrantesque, aurait commenté Chirac, le moins littéraire de tous, qui ne figure d'ailleurs pas dans Le sceptre et la plume, pour cause d'œuvre trop mince sans doute.
Comme chez Suétone, il y a chez Cessole des scoops : sur Henri IV, par exemple, qui ne fut pas qu'un Béarnais rustique, mais aussi l'auteur de plus de 6 000 lettres, dictées ou de sa main, et même de poèmes, plus ou moins authentiques ; ou sur Louis XIV, qu'on dépeint rarement en « moraliste néo-stoïcien ». Il y a des morceaux de bravoure, comme le chapitre sur Clemenceau, « anarchiste conservateur », « grand fauve » ou « globe-trotter infatigable », dont l'œuvre a, semble-t-il, plutôt mal vieilli. Il y a aussi des injustices : concernant Malraux, il reprend la vieille litanie des « mensonges » que lui ont reprochés ses biographes, voire leurs calomnies. Or, vis-à-vis de sa première épouse, Clara, par exemple, son attitude fut bien plus élégante qu'on ne le prétend.
Dans son dernier chapitre, consacré à François Mitterrand, Bruno de Cessole le classe « parmi les politiques qui aiment et savent écrire », ajoutant en note : « une race disparue avec lui ». On espère qu'il se trompe.
Le sceptre et la plume
Perrin
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 26 € ; 592 p.
ISBN: 9782262040017