Foire

Brive hors saison

Le restaurant Chez Francis aux murs et aux plafonds couverts de mots laissés par les auteurs. - Photo Cécile Charonnat

Brive hors saison

Du 6 au 8 novembre, Brive-la-Gaillarde cède comme chaque année depuis trente-trois ans à la passion des œuvres et de leurs auteurs. Amour éphémère le temps de la foire ou attachement durable tout au long de l’année ?

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Par Cécile Charonnat
Créé le 06.11.2015 à 01h03 ,
Mis à jour le 06.11.2015 à 09h55

Comme chaque année depuis trente-trois ans, Brive-la-Gaillarde s’apprête à accueillir, le temps d’un week-end, une bonne partie du microcosme germanopratin embarqué dans le traditionnel "train du foie gras". Du 6 au 8 novembre, 300 auteurs, suivis d’une cohorte d’éditeurs, de directeurs commerciaux et d’attachés de presse, vont envahir les rues, les cafés, les restaurants, les hôtels et les boîtes de nuit de la cité corrézienne, chassant des halles Brassens le traditionnel marché du samedi et reléguant au second plan le rituel match de rugby.

La médiathèque municipale et son médi@bus. - Photo CÉCILE CHARONNAT

Si l’on en croit le sondage organisé au printemps par le maire de la ville, Frédéric Soulier (Les Républicains), une telle performance relève quasiment de l’exploit. Interrogés sur les priorités à dégager pour le prochain budget municipal, les Brivistes ont préféré placer en tête de leurs préoccupations la sécurité, les déplacements en ville et le soin aux personnes fragiles, rejetant en queue de peloton la culture, considérée comme l’un des "services les moins prioritaires". Un résultat qui colle au sentiment partagé par bon nombre d’acteurs locaux qui regrettent, une fois la foire passée, que s’installe une certaine langueur.

La librairie BD Bulles de papier, accompagnée à l’étage par la généraliste La Baignoire d’Archimède. - Photo CÉCILE CHARONNAT

Poumon économique

Loin de déplorer sa force d’attraction, la foire, véritable poumon économique de la région assurant pour certains libraires jusqu’à 50 % de leur chiffre d’affaires annuel et permettant des rencontres et des opportunités extraordinaires, ils déplorent surtout son poids. "En dehors de la foire, il ne se passe pas grand-chose", constate Emmanuel Dève, propriétaire de la librairie spécialisée BD Bulles de papier. Pour Yvette Couvidat, propriétaire de la petite librairie généraliste Culture évasion, la manifestation va même jusqu’à "cannibaliser les ventes sur le reste de l’année". "Je ne travaille pas comme je le devrais les autres mois", assure la libraire. "C’est un temps tellement festif et joyeux, fort et intense, attendu de longue date par les locaux, qu’il amoindrit peut-être les besoins le reste de l’année", ajoute Amélie Roger, qui a repris en 2013 les éditons régionales Les Monédières.

Des constats que Guillaume Delpiroux ne partage pas. Le directeur de la culture de la ville met en avant une politique municipale du livre active toute l’année, conçue pour soutenir la création littéraire et dont "la Foire n’est que le point d’orgue". Secondé par Myriam Entraygues, chargée de mission pour le livre, il a mis sur pied dès 2010 une résidence d’auteurs, Ecrire à Brive, qui accueille deux à trois écrivains par an. Jérôme Leroy, Marc Pautrel, Théo Ananissoh ou Sophie Divry s’y sont succédé. L’auteure de La cote 400 y a d’ailleurs fini La condition pavillonnaire et en garde un souvenir chaleureux. "Le lieu est charmant et la ville offre un cadre agréable et vivant, mais surtout l’équilibre est bien réparti entre le temps de création et l’action culturelle sur le territoire", se souvient Sophie Divry qui, depuis, est invitée tous les ans à la Foire du livre. Parallèlement, Guillaume Delpiroux et Myriam Entraygues ont instauré les Saisons du livre, des rencontres régulières avec des auteurs souvent organisées avec la bibliothèque, dont Jean Echenoz a eu les honneurs et qui attirent un public fourni.

Malgré une structure vieillissante, la médiathèque municipale assure également une partie de la vie littéraire de la ville. Depuis dix ans, elle porte le prix des Lecteurs de la ville de Brive, remis lors de la Foire. "Ce prix est né de l’envie d’impliquer les Brivistes toute l’année dans la vie et l’actualité du livre", explique Amandine Bellet, conservatrice de l’établissement public. Il donne aussi l’occasion, grâce notamment à trois soirées délibératives, "de pratiquer une forme de médiation autour du livre puisqu’on y parle de la littérature en général", détaille la bibliothécaire. A l’occasion de Lire en short, en juillet dernier, la médiathèque a également transformé son médiabus en une bibliothèque mobile jeunesse, labellisée par le CNL, et a reçu Frédérique Elbaz et Anne-Gaëlle Balpe, deux auteures qui reviennent pour la Foire du livre. "Notre programmation à l’année et la Foire sont bien sûr intimement imbriquées, mais cela nous permet de tisser des liens plus profonds avec les auteurs", précise la conservatrice.

Remplacer les 3 Epis

Les initiatives existent donc, mais elles "restent insuffisantes", pointe Emmanuel Dève, qui poursuit : "Même si nous y mettons notre grain de sel en organisant des expositions, des rencontres et des animations, il manque encore une ambiance, une collectivité, une vie permanente autour du livre." Depuis la fermeture des 3 Epis en octobre 2014, il manque surtout à Brive (50 000 habitants, près de 100 000 en comptant l’agglomération) une grande librairie généraliste de centre-ville. Installé en périphérie, Cultura n’a pas endossé ce rôle alors que son ex-directeur, Yannick Gazeau, fils du fondateur des 3 Epis, est parti en juin 2014 diriger un Domino’s Pizza. L’enseigne envisage de reprendre les locaux de l'ancien Chapitre, mais le projet est suspendu à une décision de justice.

"Au-delà du simple fait de ne plus disposer dans la ville de structure supplémentaire pour accueillir des auteurs et des libraires avec qui échanger, une librairie dynamique génère une attention et une émulation autour du livre qui nous manque terriblement", reconnaît Amandine Bellet, obligée d’aller chercher Anecdotes à Limoges et Chantepages à Tulle pour coorganiser des opérations. C’est dire l’espoir et l’attente suscités par l’ouverture de La Baignoire d’Archimède, librairie généraliste de 110 m2 qui s’est associée à Bulles de papier pour s’installer dans la rue la plus dynamique de Brive (1). Conscientes de l’enjeu, Elodie Martin et Laurence Guillemot, ses cofondatrices, ont d’ores et déjà "établi des passerelles" avec la scène nationale Les Treize Arches et une compagnie de théâtre, et entendent privilégier rencontres et animations variées dans et hors les murs. Elles recevront d’ailleurs prochainement Louis-Bernard Robitaille, l’auteur en résidence actuellement à Brive.

(1) Voir LH 1059, du 23.10.2015, p. 32.

Monsieur Livre

 

Successivement juriste, enseignant et journaliste avant d’intégrer la mairie de Brive, Guillaume Delpiroux incarne aujourd’hui activement la politique municipale en faveur du livre.

 

Guillaume Delpiroux - Photo CÉCILE CHARONNAT

A 44 ans, Guillaume Delpiroux est sans conteste le Monsieur Livre de Brive-la-Gaillarde. Directeur de la culture à la municipalité depuis 2009, il est aussi le commissaire général de la Foire du livre et a su, en six ans, s’imposer comme la pièce maîtresse de la politique du livre de la sous-préfecture corrézienne. "On sent chez lui un intérêt réel pour tout ce qui touche au livre et à l’objet littéraire", témoigne Laurence Guillemot, cofondatrice de la nouvelle librairie généraliste indépendante La Baignoire d’Archimède, qui a senti chez Guillaume Delpiroux "une attention particulière au projet de librairie, une écoute sincère et une envie de voir les choses évoluer".

Grandi à Riom en Auvergne, fils d’un instituteur et d’une infirmière, aujourd’hui chevalier des Arts et des Lettres et membre de la commission vie littéraire du CNL, il avait pourtant débuté sa carrière loin de la littérature. Diplômé de droit public, il enseigne d’abord sa matière de prédilection à la faculté de Clermont-Ferrand et à l’Institut de préparation à l’administration générale avant de basculer dans le journalisme en 2000, date à laquelle il rejoint le quotidien La Montagne. Arrivé à Brive en 2005 pour piloter les éditions corréziennes du journal, il est nommé en 2008 directeur du cabinet de Philippe Nauche, député-maire PS de la ville, avant de prendre la direction de la culture.

Guillaume Delpiroux recrute alors une équipe dédiée à la Foire du livre et crée le commissariat général afin de rénover la manifestation "sur le fond et dans la forme". En six ans, il lui donne un caractère plus littéraire en multipliant lectures, débats, rencontres et tables rondes avec les auteurs, et parvient, avec 20 % d’écrivains en moins, à faire grimper le chiffre d’affaires de 420 000 euros à 650 000 euros en 2014. Un succès qui, conjugué à une politique du livre développée à l’année, vient conforter sa volonté "de ne plus faire du livre un simple objet marchand et de contribuer activement au soutien de la création littéraire".

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