«  Mesdames, messieurs et chers actionnaires/ je tiens à vous dire/ Putes, salopes, enculés/ Grues, connards, mal montés…  » Ainsi commence l’une des chansons du nouvel album de Brigitte Fontaine, L’un n’empêche pas l’autre . «  Pour tous ceux qui ne se sont pas remis d’avoir raté Artaud en 1947, un espoir subsiste : c’est madame Fontaine  », écrivait joliment Eric Loret dans Libération , voici deux semaines. La madame sera quadruplement d’actualité en ce joli mois de mai : outre cet album, annoncé dans les bacs pour le 23 mai, le Castor Astral réédite une version actualisée de la bio que lui avait consacrée Benoît Mouchard chez Panama en 2008, et elle-même vient de signer deux livres aux Belles Lettres. En fait, Brigitte Fontaine écrit — et publie — beaucoup : poésie, théâtre, nouvelles, contes… Certaines de ses chansons sont même nées de passages de ses livres. Invitée de « On n’est pas couchés » en mars 2008, pour la parution de Travellings (chez Flammarion), elle y avait donné sa conception de la littérature, qui en vaut beaucoup d’autres : «  Ce qui m’intéresse, dans la littérature, c’est les surprises que l’on se fait à soi-même, les découvertes que l’on s’offre ou qui vous sont offertes par Dieu sait quoi  ». Elle avait aussi précisé ne pas spécialement aimer qu’on la compare aux surréalistes, en qui elle n’avait «  toujours vu que des vieux cons  », ce qui est une opinion défendable. Et à la question méga-bêta de Ruquier — «  Vous ne faites pas de plan ?  », elle avait répondu d’un simple regard, mais irrésistible. *** Le non-lieu rendu en appel pour les policiers qui avaient poursuivi les deux gamins électrocutés dans un transformateur de Clichy à l’automne 2005, loin de signer la clôture du dossier — les parents des victimes ayant manifesté leur intention de se pourvoir en cassation — est venu raviver le souvenir des émeutes de novembre 2005 qui avaient éclaté à la suite de ce fait-divers tragique. C’est dans ce contexte, faut-il le rappeler, qu’est né le Bondy Blog, une expérience alors inédite de journalisme ayant pour ambition de raconter la diversité, et de donner la parole aux quartiers. Créé au plus chaud des émeutes, dans un appartement d’une cité de Bondy, par une équipe de journalistes suisses, le Bondy Blog a depuis bien grossi. Désormais porté par Yahoo, il s’était enrichi, voici tout juste un an, en mai 2010, d’une chronique littéraire, « la bibliothèque d’Idir ». Las, Idir Hocini, le jeune homme qui racontait devant sa web-cam ses coups de cœur livresques, a manqué de suite dans les idées. Deux petites chroniques printanières, une troisième à l’automne, et depuis plus rien. Dommage, car en seulement trois chroniques, il témoignait d’un bel éclectisme : Stalingrad , d’Anthony Beevor ; Un long chemin vers la liberté , l’autobiographie de Mandela et Marche sur mes yeux , un livre document sur l’Iran. Le tout raconté avec une certaine fraîcheur («  Moralité, disait-il à propos de Stalingrad, il ne faut pas envahir les Russes. La Russie, c’est trop grand, c’est d’la triche…  ») qui aurait mérité d’être plus travaillée. Si Idir a la flemme de continuer, ce serait bien que d’autres prennent la relève, sur le Bondy Blog ou ailleurs : on lit beaucoup plus qu’on ne l’imagine, dans les cités. Et des choses parfois étonnantes. *** Dans un mois, le bac Français. Et cette année, donc, Charles de Gaulle sera du programme, avec ses Mémoires de guerre . La nouvelle, annoncée l’an dernier à même époque, avait déclenché un vent de fronde chez les professeurs de lettres, et soulevé l’ire de quelques écrivains interrogés, à l’époque, par Libération . La palme du jugement à l’emporte-pièce était revenue à François Bégaudeau, qui tout en avouant n’avoir jamais lu une ligne de de Gaulle déclarait «  ne pas être de ceux qui pensent que le sens de la vie se trouve dans les phrases d’un bon bourgeois catholique profondément antimoderne et raciste à ses heures  ». Bon. Mais dans un siècle, plus personne ne lira François Bégaudeau, dont on aura oublié même jusqu’à l’existence, alors qu’on lira toujours les Mémoires de guerre et les Mémoires d’espoir .