La ligne éclaire. Pour l'œil non expert, l'art pictural japonais est synonyme d'ukiyo-e, d'« images du monde flottant » où évoluent les courtisanes des quartiers de plaisir ou encore de vues du mont Fuji signées Hokusai ou Hiroshige... Quoi qu'il en soit, pour apprécier la beauté de la gravure japonaise, point n'est besoin de connaître l'histoire de l'art nippon tant la grâce de ses lignes, l'harmonie de ses couleurs, de ses -compositions, séduisent spontanément. Si le goût pour l'estampe allait essaimer en Europe et donner naissance au japonisme, au Japon avant le XIX^e siècle, on juge cet art populaire. Sous l'impulsion de l'empereur Meiji (qui régna de 1867 à 1912), l'archipel s'ouvre à la modernité. Les beaux-arts n'échappent pas non plus au souffle de la réforme : se forgera une peinture nationale nihonga, alliant l'esthétique japonaise au naturalisme de l'art européen. Au XX^e siècle, la gravure sur bois se renouvelle, en intégrant le point de fuite de la perspective géométrique, en créant des cadrages étonnants... Le shin hanga, ou « nouvelle estampe », est né. C'est à l'un de ses plus éminents représentants, Kawase Hasui (1883-1957) que Brigitte Koyama- Richard, professeure émérite à l'université Musashi à Tokyo, consacre une monographie. Les quelque deux cent cinquante reproductions d'estampes et de peintures ainsi que de dessins préparatoires, croquis au crayon ou aquarelles, permettent de comprendre le processus créatif de ce « poète du paysage ».

Enfant à la santé fragile, Kawase est confié à une tante à la campagne, loin du paternel magasin de fils et de cordes à Tokyo. Emmené par sa mère à des spectacles de kabuki, le garçon est fasciné par l'univers chamarré du théâtre. Le jeune Kawase est sensible à la beauté des formes, développe une aptitude au dessin. Comme fils aîné de sa fratrie, il était destiné à tenir les rênes de l'entreprise familiale ; par bonheur, sa sœur et son beau-frère reprennent l'affaire. Après un apprentissage de la peinture traditionnelle auprès d'un maître, il se forme à 26 ans à la technique occidentale. Pont sous lequel coule une eau où se reflète un firmament diapré, route à travers une majestueuse forêt, vue des bâtiments de la capitale, panorama pittoresque du littoral... Grand voyageur en son pays, Kawase restitue à merveille la couleur des saisons, la palette blanche ou nocturne de l'humeur du ciel - les compositions enneigées ou à la nuit tombée sont d'absolus chefs-d'œuvre. Son génie réalise la parfaite synthèse entre le chromatisme rêveur de l'ukiyo-e et le réalisme au cerne noir de la ligne claire.