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Blandine Genthon : coup de jeune pour CNRS éditions

Olivier Dion

Blandine Genthon : coup de jeune pour CNRS éditions

A 32 ans, la directrice générale de CNRS éditions lui apporte son dynamisme, sa force de conviction et un regard neuf sur l’art de vulgariser les sciences, qui se concrétise dans la nouvelle revue semestrielle Carnets de science, lancée le 3 novembre. Portrait.

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Par Olivier Le Naire,
Créé le 28.10.2016 à 01h33 ,
Mis à jour le 28.10.2016 à 13h08

Si vous voulez un jour diriger une maison d’édition spécialisée dans les sciences, un conseil : suivez la voie de la directrice générale de CNRS éditions, la maison d’édition du Centre national de la recherche scientifique. Ne faites surtout pas d’études de sciences ou de lettres, et laissez faire le destin. Celui de Blandine Genthon se joue en 2003 lorsque, étudiante dans une école de commerce - l’Edhec -, la jeune femme pose six candidatures pour effectuer un stage d’audit financier, et échoue aux six entretiens. Sur une fiche la concernant, qui tombe par hasard sous ses yeux, elle lit cette sentence : "Un peu trop bohème !" Treize ans plus tard, avec un rire qui dément ses airs de première de la classe, l’intéressée décrypte : "A l’époque, j’étais un peu braque ; je cherchais ma voie et je n’avais aucune envie de me retrouver en tailleur et talons hauts à éplucher des bilans comptables. Ils s’en sont vite rendu compte."

L’élégante patronne de CNRS éditions qui nous reçoit… en tailleur et talons hauts, dans son bureau du Quartier latin, n’a pas seulement trouvé sa voie dans l’édition. Elle incarne à sa façon cette génération d’éditeurs et d’éditrices qui renouvellent la manière de pratiquer, et aussi de vivre ce que Françoise Verny appelait "le plus beau métier du monde".

Bonne école

En 2003 donc, à défaut de cabinet d’audit, Blandine Genthon décroche un stage de contrôleuse de gestion chez Hachette, et découvre enfin un milieu qui l’intéresse. Pour elle, fille d’un architecte et de Muriel Genthon, alors responsable de la Drac d’Ile-de-France, "le livre est sacré". L’édition la fascine. Son diplôme en poche, elle découvre le métier chez Larousse, sous la houlette d’Isabelle Jeuge-Maynart. "La gestion est une très bonne école pour aborder ce secteur, même si j’ai senti la tension entre éditeurs et contrôleurs", admet-elle. Déjà, son choix est fait : elle veut devenir éditrice.

Lorsque la jeune femme apprend qu’à CNRS éditions Jean-François Colosimo cherche une secrétaire générale, elle se dit que dans une petite maison, elle aura plus de facilités à passer de l’autre côté du miroir. Fin 2007, Jean-François Colosimo passe ce deal avec elle : "Vous m’apportez le savoir-faire d’Hachette pour dépoussiérer la maison, et je vous forme au métier d’éditrice." Il faut croire que l’élève était douée puisque, deux ans plus tard, lorsque Jean-François Colosimo est nommé président du Centre national du livre et remplacé par Jacques Baudouin, elle devient directrice éditoriale. Cinq ans après, quand ce dernier part à la retraite, Blandine Genthon, la plus jeune des 14 employés, prend la tête de CNRS éditions. Une belle maison avec 6 000 titres au catalogue, 150 livres par an, mais aussi une "belle endormie", qui traitait encore les sciences à l’ancienne. Ses deux prédécesseurs ont commencé à la réveiller. La nouvelle directrice générale va à son tour lui donner un coup de jeune.

Blandine Genthon fait repeindre en blanc les locaux, comme pour y écrire une nouvelle page. Elle confie la gestion quotidienne à Christelle Voisin, également responsable de la presse, qu’elle nomme secrétaire générale. Elle revoit le fonctionnement du comité éditorial, comme l’explique Grégoire Kauffmann, chargé du secteur histoire : "Blandine aime qu’on discute du fond des sujets et elle a instauré une vraie collégialité, même si c’est elle qui tranche en dernier ressort. Sa force, c’est d’avoir à la fois la rigueur de la gestionnaire et le flair de l’éditrice." La jeune patronne tempère : "Le flair n’est pas inné ; il faut l’aider avec son enthousiasme, sa curiosité, son envie de bosser."

Une grâce

De ce côté-là, pas de souci. Pour l’anthropologue Maurice Godelier, 82 ans, auteur et directeur de collection chez CNRS éditions, "il y a une grâce chez Blandine. A toute heure elle vous accueille, vous écoute, ose prendre des risques et travaille vraiment ses livres. Elle a su imposer son autorité et entretenir une bonne ambiance dans sa PME." Christelle Voisin confirme : "Elle suit de près les couvertures qu’elle a modernisées, court les salons et les labos. C’est une perfectionniste." Même si, contrairement à ses concurrentes, la maison, adossée au CNRS, n’a pas vocation à faire des coups, sa directrice générale entend bien lui donner une nouvelle visibilité, attirer de nouveaux auteurs, et de nouveaux lecteurs en misant sur la vulgarisation des sciences où il y a, selon elle, une place à prendre. "Il faut arrêter de faire croire aux gens qu’ils sont trop bêtes pour comprendre des sujets complexes", lance Blandine Genthon. Sa dernière trouvaille : Antoine Letessier-Selvon, spécialiste des rayons cosmiques au CNRS, qu’elle a réussi à convaincre d’expliquer dans un livre son sujet, son métier et sa passion. "J’espère qu’il suscitera des vocations." Passionnée de géopolitique, l’éditrice a aussi remporté, à l’échelle de sa maison, un joli succès avec l’Atlas des empires maritimes de Cyrille P. Coutansais, vendu à près de 5 000 exemplaires.

L’autre cheval de bataille de Blandine Genthon, ce sont les Carnets de science, revue semestrielle du CNRS dont le premier numéro paraît le 3 novembre (1). Ce très bel objet illustré décortique la physique en images, nous expédie en mission dans la jungle avec un géographe ou raconte le génome comme une aventure. "Cette revue est emblématique de ce que je veux faire", s’enthousiasme l’éditrice, qui surfe aussi sur l’actualité avec la collection "Débats". Par exemple en publiant Les migrants et nous : comprendre Babel de Michel Agier. "Pour 5 euros, nous offrons à tous ceux qui le souhaitent la possibilité de mieux appréhender le monde actuel. Cela fait partie de notre mission."

Mission, message, devoir… Ces mots reviennent souvent dans la bouche de l’éditrice, qui entend allier science et conscience en se battant sur tous les fronts. "Il paraît qu’avant c’était plus facile, dit-elle. Aujourd’hui, avec moins de moyens, il faut travailler plus et rivaliser d’imagination ; c’est à la fois stressant et passionnant. Il faudrait que je rencontre plus souvent mes consœurs et mes confrères pour en parler." Avis aux amateurs.

(1) Carnets de science n° 1, Le siècle du vivant, broché, 200 p., ill. coul. et n & b, CNRS éditions, 12,50 euros. Tirage : 10 000 exemplaires. ISBN : 978-2-271-09348-6.

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