avant-portrait

Sur la terrasse des éditions Stock, elle allume une première cigarette. Anne Berest semble un peu fébrile, elle peigne une dernière fois son audacieux et réussi Sagan 1954. "L’encre n’est pas encore sèche pour moi", dit-elle joliment en évoquant un texte dont elle n’est pas tout à fait détachée. Ses deux premiers romans, elle a mis deux ans à les terminer. Là, elle a changé de rythme, a été "bousculée". En septembre dernier, Denis Westhoff l’appelle. Le fils de Françoise Sagan lui demande si elle a envie d’écrire quelque chose sur celle qu’elle a découverte adolescente avec Bonjour tristesse au Livre de poche.

"Sa proposition m’apparaît comme une évidence, comme un "signe", je dois le faire", raconte-t-elle dans Sagan 1954, qui n’est ni une biographie, ni un journal, ni un roman. Plutôt "une histoire" où elle éclaire la jeune Françoise Quoirez et ose parler d’elle. Elle s’y est mise aussitôt, abandonnant un manuscrit en cours, en essayant d’être "rigoureuse". Pour ça, elle achète toutes les biographies disponibles, se penche sur les années 1950, documentaires sur Diên Biên Phu inclus. En chemin, elle prend de plein fouet L’âge d’or de Pierre Herbart, chef-d’œuvre qu’elle ne peut lâcher et qu’elle termine en pleurs.

Anne Berest a vu le jour en 1979 à Paris, "à l’Hôtel-Dieu". Elle a grandi à Sceaux où elle rêvait de la capitale. Papa est chercheur "en mécanique des solides", maman linguiste. A la maison, il y a des livres partout. Elle a été marquée par leur présence, par leurs couvertures, comme celle de Système de la mode de Roland Barthes qui l’intriguait. Anne observe ses parents toujours plongés "dans leur lecture". Elle est la deuxième de leurs trois filles - l’aînée travaille dans une ONG ; la cadette, Claire, est également écrivaine. Gamine, Quand Hitler s’empara du lapin rose de Judith Kerr à L’Ecole des loisirs la marque au point qu’elle le reprend "vingt fois". A 12 ans, elle dévore L’amant de Duras et pense que la littérature, "c’[est] le sexe".

Bonne élève au lycée Lakanal, elle passe un bac littéraire, prépare Normale sup, mais loupe deux fois le concours d’entrée. Anne Berest sait qu’elle veut être "écrivain". Elle va d’abord étudier la dramaturgie baroque à la Sorbonne. Puis faire un stage en tant qu’assistante d’édition chez Grasset. Au théâtre du Rond-Point, elle s’occupe ensuite des publications et d’une revue qu’elle dirige pendant cinq ans.

Un remake.

Arrive le moment où elle comprend qu’elle doit "passer de l’idée d’écrire à écrire", se confronter à elle-même. A l’époque, elle gagne sa vie en rédigeant des livres de mémoires pour les particuliers. La fille de son père (repris en Points), dont le titre a été trouvé par son amie la cinéaste Rebecca Zlotowski, elle l’adresse logiquement à Grasset qui tarde à répondre. Martine Saada, au Seuil, la contacte en quarante-huit heures et la publie en 2010. Cette histoire de trois sœurs et de leur père "où tout est romancé" reçoit immédiatement un bel accueil.

"J’ai eu beaucoup de chance", reconnaît Anne Berest. Qui a plus encore impressionné avec le magnifique Les patriarches (Grasset 2012, repris en Points), autre histoire de fille et de père, où elle met en scène un "personnage flamboyant", son ami le comédien Gérard Rambert. Tous les jours, elle prend des notes dans des carnets. Elle n’a pas de rituel, peut écrire partout. Ses auteurs contemporains préférés sont Michel Houellebecq, Marie NDiaye, Emmanuel Carrère, Annie Ernaux. Patrick Modiano dont elle a adapté à la scène Un pedigree avec Edouard Baer. Jean Echenoz qu’on croise dans Sagan 1954.

Un volume incarné où l’on apprend qu’Anne Berest se méfie des ascenseurs et a raté quatre fois son permis de conduire. Avant de l’obtenir et de ne jamais prendre le volant ! Françoise Sagan, elle aurait aimé la rencontrer mais aurait eu peur de ne pas lui plaire. Cette femme libre dont le nom déclenche toujours "quelque chose de doux et d’enveloppant", elle a l’impression qu’elle l’a protégée. Là, elle s’apprête à reprendre le texte qu’elle a remisé pour s’acquitter de Sagan 1954. Elle lâche juste qu’il s’agira du remake d’un classique français du XXe siècle qui l’a beaucoup marquée. Comme un passage obligé pour "grandir" dans son écriture. Ce qui ne manque pas d’humilité chez quelqu’un affichant déjà une singulière maturité littéraire.

Alexandre Fillon

Sagan 1954, Anne Berest, Stock, 18 euros, 192 pages, ISBN : 978-2-234-07740-9. Sortie : 30 avril.

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