L'an dernier, le Man Booker Prize créait la surprise en récompensant deux auteures. L'une était une sommité, Margaret Atwood, l'autre une auteure méconnue, Bernardine Evaristo. Quelle révélation ! Cofondatrice du Theatre of Black Women, professeur de creative writing à l'université Brunel de Londres, fondatrice d'un prix international de poésie africaine, cette Anglaise aux origines nigérianes est clairement engagée. Elle qui se définit comme « activiste littéraire » n'hésite pas à revendiquer ses racines et compose ici un roman particulièrement puissant. Il nous encourage à d'avantage de métamorphoses personnelles, relationnelles, générationnelles et sociétales.

Couv. Fille, femme, autre Bernardine Evaristo- Photo GLOBE

Douze « filles, femmes, autres » y déversent ce qu'elles ont sur le cœur. En revisitant leur vie, elles brassent un siècle d'injustice, de violence, de doutes, d'amours et de combats pour devenir soi-même. Amma ouvre le bal. Cette comédienne et dramaturge rebelle a un air de ressemblance avec Evaristo. Elle fait partie d'une joyeuse bande de filles, femmes, mères, grands-mères qui luttent pour exister au sein d'un monde ancré dans les clichés et où les rôles sont déjà attribués. Autre personnage, Winsome assure, quant à elle, qu'« il était plus facile de rêver que de transformer le rêve en réalité ». Surtout si la pauvreté, l'exil ou la couleur de peau déterminent la destinée. Réalisant que son mari n'est pas celui qu'elle croyait, Winsome décide de se révolter et redécouvre sa sensualité de manière inattendue. Même surprise pour Bummi, dont les proches se tuent au travail. De son côté, Pénélope souffre d'être une amoureuse déçue et déchue. Difficile de s'aimer, tant « personne ne racontait haut et fort ce que signifie se sentir trop laide-stupide-grosse-pauvre ou juste pas à sa place », comme Carole. Elle fait la fierté de sa mère, jusqu'au jour ou elle préfère épouser un Blanc. « Le racisme intériorisé est partout », souligne Dominique, y compris au cœur de sa propre famille.

L'identité, exacerbée par le personnage non binaire de Morgan, préoccupe chacune des protagonistes. « Shirley se dit qu'elle se doit maintenant d'être une grande ambassadrice pour tous les Noirs de ce monde. » Il en va de même pour Bernardine Evaristo, auteure singulière qui fait résonner toutes ces histoires féminines ou féministes, nous rappelant que l'on peut s'unir dans les différences comme dans les ressemblances. Bâti comme un bloc de poésie, ce roman choral se situe à la fois dans l'oralité et la narration, la raison et la passion, le doute et la revendication. Toutes ces personnalités, attachantes et jubilatoires, incarnent une mémoire du monde, leurs portraits bousculent nos identités psychiques, ethniques, sexuelles et féminines. À la victimisation, elles préfèrent l'héroïsation du quotidien. Ces combattantes réinventent leur vie pour dépasser une souffrance, partant à la quête d'elles-mêmes à travers les autres. Un véritable encouragement à l'affirmation de soi grâce à la solidarité qui permet d'affronter les difficultés de l'existence. Noires, blanches ou métissées, les femmes de cette nouvelle génération sont fières de leur personnalité émancipée. Il n'est jamais trop tard pour renaître à soi-même.

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