Eh ! Y a quelqu’un ? Depuis deux semaines mes camarades bloggeurs de livreshebdo.fr et moi guettons vos maigres commentaires. Alors, fâchés ? En panne d’ordinateurs ? Victimes du « travailler moins pour gagner plus » (de tranquillité) ? Est-ce à dire que la blogosphère est soluble sous les ponts et les viaducs ? Toute honte bue, je ne peux m’empêcher de m’en réjouir. Constater que la paresse l’emporte sur la technologie, quel bonheur ! Enfin un signe d’humanité. Un peu comme un salon du livre où la foule ne serait faite que de connaisseurs, où les auteurs auraient oublié leurs egos à Paris et les éditeurs leur retour sur investissements pour préférer bronzer intelligent. Ce lieu existe, il s’appelle St-Malo et j’en reviens. Reportage, cela fait si longtemps que je ne m’étais plus senti journaliste, avec cette envie de raconter, de partager quelques événements de la grande ou la petite histoire. Soit un vendredi, disons plutôt un samedi tôt, il est 2h du matin, avec une joyeuse troupe qui vide ses derniers verres (précédés de beaucoup d’autres, suivis aussi…) au mythique Bar de l’Univers. Il y a là des auteurs, des éditeurs, des attachées de presse, des journalistes, j’en passe et des meilleurs. Il y a des Bretons, des Français (amis malouins, c’était pour rire), des Irlandais, des Ukrainiens, des Russes, des Américains, des Israéliens. Tout ce beau monde parle la même langue, celle de l’amour de la littérature et de l’amitié partagée. Et puis d’un coup c’est parti. L’ancien journaliste de Libération (*) spécialiste de l’Irlande, Sorj Chalandon ( Mon traître , prix Kessel), a lancé la première note, c’était sa façon de dire bonjour à l’écrivain irlandais Colum McCann, qui a enchaîné. Entre les deux, radieuse, une franco-irlandaise, une certaine Moïra, a repris avec sa voix d’alto. Et une longue nuit a commencé. Pas loin d’une demi-heure de ballades irlandaises à faire frissonner les plus endurcis sous les remparts de St-Malo. Suivies ensuite d’un choix un peu désordonné, surtout dans ma mémoire, de chansons russes, israéliennes, palestiniennes. Ces ballades irlandaises que j’aime tant , je ne suis pas près de les oublier. Parce qu’elle était pleine de joie. De larmes aussi. Sans doute parce que, sans le savoir alors, mourait à Dublin Nuala O’Faolain accompagnée de ses amis et sa famille qui chantaient les mêmes chants. Journaliste, écrivaine, romancière, cette femme qui avait connu le succès en France en étant publiée par une toute nouvelle éditrice alors, Sabine Wespieser ( On s’est déjà vu quelque part ? , 2002). Ces chants qui retentissaient dans la cité malouine presque en même temps que dans la vieille city of Dublin m’ont brisé le cœur. Comme d’autres j’ignorais que Nuala O’Faolain souffrait d’un cancer. Découvert il y a quelques mois dans un hôpital de New York où Nuala vivait, le crabe infâme était « inopérable ». Après des séances de rayons, elle avait refusé la chimiothérapie qu’on lui proposait car elle n’aurait pu que prolonger sa vie. Elle n’en avait pas envie. Même Proust qu’elle avait tant aimé avait « perdu sa magie » quand elle a essayé de le relire ainsi qu’elle l’a expliqué dans une dernière interview il y a quelques semaines à une de ses amies au micro de la radio irlandaise. Sa fin de vie qui ne lui paraissait guère importante « à côté des massacres d’Auschwitz, du Rwanda, des viols au Congo », elle a décidé de la passer avec quelques proches en voyages. Les meilleurs hôtels à Paris (Crillon, Ritz ?), Madrid, Berlin, la Sicile et New York. Elle s’est offerte des tartines beurrées à la terrasse d’un café parisien, Don Carlos de Verdi à l’Opéra de Berlin, elle a revu ses tableaux favoris au Prado, ressenti une dernière fois l’énergie de New York où elle a vécu ces dernières années. Et elle est rentrée mourir à Dublin. Au milieu des chants de son pays. Ma famille, qui est d’origine rurale sans la moindre particule, s’est choisi une devise : le réconfort avant l’effort ! Traduisant sans le savoir le très anglo-saxon : « Life is short, eat dessert first ! ». Eh bien non, avec Nuala et le souvenir de cette soirée magique de Saint-Malo je dirais plutôt : Buvez, chantez jusqu’à votre dernier jour. Il restera toujours du dessert. Chanter, boire, fumer aussi. Chers lecteurs silencieux, je vais vous offrir un scoop. Un soir, avec une autre bande, nous nous sommes réfugiés dans un restaurant de la région assez tardivement –on rencontre tellement d’amis dans les rues de St-Malo… Chacun son tour, les fumeurs sortaient en griller une quand une journaliste, femme d’éditeur, a demandé bravement au patron si « par hasard… », « exceptionnellement », « enfin vous voyez… » il n’aurait pas un cendrier. Ici et maintenant. Bravant les lois et le quand dira-t-on, l’aubergiste, après avoir demandé préalablement aux derniers clients, est revenu avec cendrier et encouragements. Cigarettes, cigarillos, havanes sont sortis. Dois-je vous dire que le très ancien ex-fumeur que je suis a aimé cet instant de liberté, cette odeur vaut toutes les madeleines de Proust.