A la fin des années 1980, alors que son amoureuse Marianne lui a signifié la fin de leur histoire, Gabriel, 25 ans, « petit acteur sédentaire » formé au Conservatoire, jeune homme sans histoire encore douillettement hébergé chez ses parents à Versailles, est embauché dans un premier rôle au cinéma, sur le premier film d’un réalisateur grec inconnu qui a été l’assistant du cinéaste Theo Angelopoulos. Il doit jouer Mathieu, un acteur au chômage. Le tournage débute à Athènes. Toute l’équipe est grecque.

Chance inespérée d’entrer dans la cour des grands ou malentendu, erreur de casting ? Cette interrogation existentielle va hanter toute la traversée de ces quelques mois fondateurs. Car sur la scène intime comme devant l’œil de la caméra, notre héros, cinéphile biberonné aux chefs-d’œuvre Art et essai, est encombré de modèles, de comparaisons souvent à son désavantage. Il se voit gauche, apeuré, miné par un sentiment d’illégitimité mais appliqué et accommodant, il s’acharne à compenser son manque d’aptitudes naturelles (ou le peu de confiance qu’il a dans ses talents) par une inaltérable bonne volonté. Au cœur de tous ces laborieux apprentissages et de la mue qu’ils opèrent, les langues que Gabriel/Mathieu s’emploie consciencieusement à maîtriser : le grec déchiffré pas à pas avec la méthode Assimil, la grammaire et le vocabulaire nouveaux du cinéma… Jusqu’à sa langue maternelle, le français, dans laquelle le film est tourné, qui prend souvent des accents de langue étrangère à décoder lorsque dans des scènes particulièrement comiques, il sort, phonétique, de la bouche de « Thémis la Superbe », sa partenaire de jeu.

On retrouvera dans Fuir Pénélope, à travers des portraits plus doux qu’amers, des situations plus cocasses que tragiques, cette admiration fascinée qu’a toujours eue Denis Podalydès pour la machinerie de son métier et sa manière pleine de dérision de confronter la mythologie au prosaïque. Il signe ainsi un roman de formation, alerte et spirituel, hommage attendri à l’acteur débutant qu’il fut, et partant à tous les jeunes gens, encore enfants de l’art, qui fuient pour devenir grands. V. R.

Fuir Pénélope, Denis Podalydès, à paraître le 9 janvier, Mercure de France, 18,80 euros, ISBN : 978-2-7152-3041-5.

Les dernières
actualités