Voici deux ouvrages, complémentaires, sur un thème commun. Christophe Bouton a opté pour l’enquête philosophique pour répondre à la question : l’homme fait-il l’histoire ou est-il façonné par elle ? Une réflexion qui nous entraîne de la Révolution française aux révolutions arabes. Quels rôles jouent les individus dans les événements collectifs ? L’homme de la rue Mohamed Bouazizi en Tunisie n’avait pas conscience que son immolation allait être à l’origine d’un mouvement de contestation. Quant aux décisions prisent par les hommes politiques, elles finissent parfois par former le tissu de l’histoire. Christophe Bouton examine cela avec finesse et élabore une théorie de la responsabilité historique.
La question de l’histoire est passionnante car elle nous renvoie à nous-mêmes. Penser l’histoire, c’est se penser, c’est réfléchir à la société, au passé, au temps qui s’écoule et à la manière dont nous les envisageons. Rémi Dalisson nous fait comprendre cela dans son essai à la veille du centenaire de la Grande Guerre : qu’allons-nous commémorer ?
La particularité française consiste à vouloir produire du consensus, même quand on célèbre la guerre. Les monuments aux morts, les statues, les journées mémorielles sont autant destinés au souvenir qu’à rendre supportable ce qui ne l’était pas.
Depuis Sedan, imaginaire national et mémoire de guerre se confondent. Rémi Dalisson examine cette pratique culturelle qui remonte au second Empire. Un rituel républicain où se met en place la concurrence des passés. Il s’agit aussi parfois de transformer la défaite en victoire morale, comme pour Diên Biên Phu. L’auteur retrace l’histoire des nombreuses commémorations des guerres en France, inventées après 1870, qui restent parmi les piliers du débat politique et historique hexagonal. On l’a vu lors des célébrations liées à la guerre d’Algérie ou dans l’exhumation de la lettre de Guy Môquet.
Ces deux études nous montrent combien l’histoire en France est une matière inflammable, susceptible d’embraser bien des passions. Patrick Boucheron considérait l’histoire chez Walter Benjamin (Sur le concept d’histoire, Payot) comme l’art de rester calme. Laurent Lemire