Enquêtes

Auteurs : les revenus de la plume

Philippe Claudel dédicaçant ses ouvrages au Salon du livre de Paris, 2006. - Photo Olivier Dion

Auteurs : les revenus de la plume

Selon une étude de grande ampleur coordonnée par le ministère de la Culture qui la présentera le 16 mars à la SGDL, et révélée en exclusivité par Livres Hebdo, la France compte un peu plus de 100 000 auteurs de livres rémunérés pour leurs œuvres. Leurs revenus sont en baisse, mais les situations sont contrastées entre quelques milliers d’auteurs qui n’exercent pas d’autre activité et la majorité qui dispose d’autres ressources.

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Par Hervé Hugueny,
Créé le 11.03.2016 à 01h00 ,
Mis à jour le 11.03.2016 à 16h01

Toujours ignorés des enquêtes des news magazines sur les salaires et les revenus, les auteurs exerçant leurs talents en France vont enfin goûter aux joies ou aux amertumes de la comparaison de leur situation avec les moyennes propres à leur secteur. Mercredi 16 mars, une synthèse d’enquêtes sans précédent intitulée "La situation économique et sociale des auteurs" sera présenté à la Société des gens de lettres (SGDL), qui avait lancé l’idée. Les cinq études de ce dispositif seront publiées sur le site du ministère de la Culture, qui a réalisé trois d’entre elles et coordonné le tout. L’analyse ne se limite pas au noyau d’auteurs professionnels, mais s’efforce d’appréhender l’ensemble de ceux qui perçoivent des droits, même à un faible niveau, pour rendre compte de la diversité des situations.

Les services du ministère ont extrait des quelque 200 000 créateurs enregistrés au fichier de l’Agessa (Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs) les seuls auteurs de livres afin de mesurer leur situation actuelle et son évolution depuis trente-cinq ans. Deux questionnaires ont complété cette information. Les données anonymisées ont permis de segmenter les profils par âges, genres, métiers (auteurs de textes, traducteurs, illustrateurs, scénaristes BD, etc.), secteur éditorial, niveau et nature des revenus (ventes de livres, à-valoir, gestion collective, activités connexes, et même autres ressources), composition du foyer, logement, etc.

Pour la première fois

On dispose ainsi pour la première fois d’une estimation du nombre d’auteurs ayant perçu des droits provenant de la publication de livres : 101 600 en 2013, dernière année de données disponibles à l’Agessa. Il peut manquer des illustrateurs aussi dessinateurs de BD, qui relèvent d’une autre caisse, et des écrivains n’ayant perçu aucun droit en 2013.

Le total prend en compte quelque 5 900 auteurs affiliés, qui ont perçu au moins 8 487 euros bruts HT de droits provenant en majorité du livre, le minimum requis pour s’inscrire à l’Agessa, mais aussi près de 95 700 auteurs précomptés : ce terme désigne ceux qui ont perçu des droits dont les cotisations ont été directement prélevées et versées par les éditeurs à l’Agessa. Ils ne se sont pas inscrits à l’Association parce qu’ils exercent en général une autre activité leur assurant la couverture sociale nécessaire, et perçoivent des droits inférieurs au minimum requis, mais pas toujours : 7 % d’entre eux reçoivent un montant qui les rendrait affiliables. Ils ont donc été ajoutés aux affiliés, pour constituer un groupe "d’auteurs du premier cercle" considérés comme les plus actifs.

Les profils des deux populations sont très contrastés et distingués tout au long de l’enquête. La littérature, adulte et jeunesse, ainsi que la BD occupent 70 % des affiliés, alors que plus de la moitié des précomptés écrivent pour les sciences humaines, les sciences et techniques et le scolaire. Pour eux, l’écriture n’est souvent qu’"un des prolongements de leur activité principale", note l’étude. 72 % des précomptés sont âgés de 50 ans et plus, et ce sont à 63 % des hommes. Chez les affiliés, 55 % ont moins de 50 ans et les femmes sont majoritaires (55 %). Les plus jeunes se trouvent en BD, les plus âgés chez les auteurs de textes.

La structure des revenus est tout aussi différenciée. En prenant en compte l’ensemble des revenus du foyer, autres que les droits et y compris ceux des conjoints, les précomptés affichent une situation plutôt confortable : 52 % d’entre eux déclarent plus de 4 250 euros nets par mois. Mais pour 96 % d’entre eux, les droits ne sont qu’un revenu annexe, les ressources principales venant d’autres activités. La proportion est inverse chez les affiliés : pour 78 % d’entre eux, les droits d’auteurs sont prépondérants, et seulement 26 % déclarent plus de 4 250 euros de revenu net mensuel. En revanche, 47 % déclarent moins de 2 500 euros de revenu net global mensuel, contre 18 % seulement des précomptés.

1,15 fois le Smic

En considérant les seuls droits, le revenu annuel médian chez les affiliés est de 15 529 euros, soit 1,15 fois le Smic. 10 % d’entre eux ont perçu moins de 4 266 euros en 2013, et 10 % ont perçu 10 fois plus (44 050 euros). Le montant médian du dernier à-valoir perçu varie fortement suivant les secteurs : de 9 117 euros pour les dessinateurs de BD, à 1 060 euros en SHS, en passant par 2 081 euros pour la littérature et 1 200 euros pour la jeunesse. Le taux médian des droits du dernier contrat signé s’établit à 7,1 % en littérature, 8 % en essais & documents, de même qu’en BD (dessinateurs), et 2,5 % seulement en scolaire et dictionnaires.

Dans un "editor land" où les seuls revenus viendraient des droits, le niveau de vie des auteurs serait modeste : 8 100 percevraient un Smic (13 445 euros nets par an), 2 900 recevraient l’équivalent de deux Smic, et ceux qui dépasseraient les trois seraient 1 620. La population des auteurs pouvant vivre correctement de leur plume est donc des plus réduites, d’où la double activité fréquente.

L’évolution des revenus confirme le ressenti individuel : pour tous les affiliés "le revenu déclaré en 2013 est en baisse par rapport à un pic atteint selon les groupes entre 1991 et 2001", note la synthèse. Il est toutefois "plus élevé qu’il ne l’était en 1979 pour les écrivains (+ 0,6 %) et surtout les traducteurs (+ 31 %), qui représentent près de 60 % des effectifs de la population des affiliés du livre en 2013". Sur trente-cinq ans, c’est quand même insignifiant pour les écrivains, et bien limité pour les traducteurs, à moins de 1 % annuel. Mais leur situation reste meilleure que celle des illustrateurs, dont le revenu a chuté sur la période (de - 13 à - 17 % selon le critère retenu). En mesurant l’évolution par générations, suivant l’année d’affiliation des auteurs, la baisse est aussi générale, avec une tendance à l’aggravation pour les plus récentes. "Non seulement le revenu des générations récentes progresse moins, mais il semble atteindre plus tôt son plafond", souligne la synthèse. En ajoutant les autres ressources que les auteurs ont recherchées en nombre grandissant, la situation est plus nuancée : de 1979 à 2013, le revenu global augmente de 14 % pour les écrivains et de 31 % pour les traducteurs, mais baisse pour les illustrateurs (- 31 %).

Dans toutes les périodes de crise, les situations individuelles peuvent aussi diverger. 20 % des affiliés ayant répondu à l’enquête complémentaire jugent que leurs revenus "ont plutôt augmenté" au cours des cinq dernières années et, pour 4 %, ils ont même "beaucoup augmenté". Mais ils partaient peut-être d’assez bas, et 30 % des répondants disent aussi avoir publié plus. En revanche, pour 44 % des répondants, les revenus ont "plutôt" ou "beaucoup" diminué, et 27 % déclarent avoir moins publié. Le numérique, source de nombreuses questions, n’a pas eu "d’impact mesurable à ce jour" sur les revenus pour 84 % des affiliés répondants. Mais 12 % estiment qu’il a été plutôt négatif, alors que 4 % jugent son effet positif sur leur niveau de droits.

Des auteurs "massivement satisfaits" des éditeurs

Cette situation économique fragile n’altère pas la qualité des relations des auteurs affiliés avec leurs éditeurs, même si ces derniers ne sont pas exempts de reproches. Les auteurs "se déclarent massivement satisfaits de la relation avec leur éditeur principal (bonne 60 %, excellente 21 %), alors que plus de la moitié d’entre eux ont été confrontés à au moins une des six “mauvaises pratiques” listées dans le questionnaire" (compensations inter-titres ou interdroits, droits non payés avec ou sans raison, absence de reddition de compte). Ils ne se précipitent pas pour autant chez un agent littéraire (4,6 % des affiliés y ont recours), mais adhèrent plus volontiers à une association (49 % des affiliés).

En chiffres

438 millions d'euros de droits en 2014

Vue de l’édition, la proportion des droits d’auteur augmente depuis 2011, après une décrue amorcée à la fin de la décennie précédente. En 2014, les 244 éditeurs ayant répondu à l’enquête annuelle du Syndicat national de l’édition (SNE) ont inscrit en charge à ce poste 438 millions d’euros, soit 10,3 % du chiffre d’affaires de l’année (contre 9,7 % l’année précédente) et une progression de 2,7 % en valeur. A partir des chiffres du SNE, l’étude du ministère fait apparaître une hausse du taux moyen des droits par exemplaire vendu (+ 1,2 point de 2007 à 2014), alors que le chiffre d’affaires moyen par exemplaire baisse de 34 % sur la même période.

Ces données globales vont à l’encontre de la baisse des revenus individuels mise en évidence par les chiffres de l’Agessa. Diverses hypothèses peuvent expliquer la divergence entre le montant des droits versés vus de l’édition, leur proportion par rapport au CA, et la situation des auteurs : progression du nombre de ceux-ci supérieure à celle de la production, maintien relatif des à-valoir ou réduction inférieure à celle des ventes, effet de concentration dû à la bestsellerisation, le pourcentage des droits augmentant avec le volume des ventes pour un nombre réduit de titres. La part des auteurs étrangers dans ce phénomène échappe évidemment à l’Agessa.

La hausse peut aussi être ponctuelle et provenir d’un nettoyage des comptes des éditeurs, passant plus rapidement en dépréciation et en charges des avances non couvertes par les ventes. Le cabinet d’audit KPMG a constaté cette tendance dans les derniers bilans de l’édition.

Ces rapports, interrompus en 2013, permettaient aussi de constater des droits très différents par secteurs. En littérature et surtout en BD, où se trouvent le plus grand nombre d’auteurs professionnels, la proportion des droits atteint environ 20 %, suivant le critère retenu. A l’inverse, dans le juridique, elle est inférieure à 5 % et ne dépasse pas 10 % dans le pratique. Sur les dernières années, l’étude constatait une progression des à-valoir rapportés à la production, mais sur un rythme moindre, d’ailleurs très variable suivant les secteurs et d’un exercice à l’autre.

La baisse est internationale

 

Des enquêtes aux Etats-Unis, au Canada et au Royaume-Uni montrent que les revenus des auteurs reculent également.

 

Les revenus des auteurs sont devenus l’objet d’une attention internationale, entretenue par quelques exemples médiatiques de fortunes rapides dans l’autoédition. Les résultats d’enquêtes dans divers pays montrent plutôt une tendance générale à la baisse.

Aux Etats-Unis, le sondage réalisé en 2014 par la Guilde des auteurs auprès de ses adhérents (1 674 répondants) révèle que le revenu médian en termes de droits a chuté de 24 % par rapport à la précédente enquête de 2009, à 8 000 dollars (7 360 euros). Les auteurs professionnels, dont c’est l’activité principale, déclarent une baisse de 30 %, à 17 500 dollars (16 100 euros). Pour ceux dont c’est une activité annexe, le montant des droits a chuté de 38 %, à 4 500 dollars (4 140 euros).

Au Canada, une étude commandée par le syndicat des écrivains et publiée en 2015 révèle également que le revenu des auteurs a chuté de 27 % par rapport à la précédente enquête, remontant à 1998. La moyenne est maintenant à 13 000 dollars canadiens (8 900 euros), mais couvre une forte disparité : 6 % des auteurs perçoivent 80 % des revenus.

Au Royaume-Uni, l’enquête de l’ALCS (Authors’ Licensing and Collecting Society) conduite en 2013 auprès 2 454 écrivains révélait que le revenu moyen d’un auteur professionnel (consacrant plus de la moitié de son temps à écrire) était de 11 000 livres sterling (14 220 euros), en baisse de 10,7 % par rapport à 2005. Les 5 % d’auteurs professionnels les mieux rémunérés (au moins 100 000 livres de droits) recevaient 42,3 % du montant total des droits, contre 7 % pour les 50 % d’auteurs plus confidentiels.

La Commission européenne a commandé une enquête dans dix pays dont la France. Réalisée en 2014, ses résultats ne sont pas encore publiés.

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