"Les grands mots", la collection de philosophie dirigée par Alexandre Lacroix chez Autrement n’a peut-être jamais aussi bien porté son nom. Son dernier titre s’attaque ainsi sans complexe à la notion de bonheur, et c’est le philosophe allemand Wilhelm Schmid, traduit pour la première fois en français, qui s’y colle dans ce très court essai paru en 2007, traversé par cette simplicité rigoureuse et vivifiante, subtilement agitatrice, qui fait l’esprit de la série (lire La discrétion ou L’art de disparaître de Pierre Zaoui ou La procrastination : l’art de reporter au lendemain de John Perry).
Il faut dire que la question du bonheur occupe ce spécialiste de Michel Foucault depuis toujours et qu’il y a consacré plusieurs ouvrages à succès, comme il le rappelle dans la dernière partie - "Comment j’ai appris l’art de vivre à Paris" - où il retrace les grandes étapes de son parcours intellectuel. Le bonheur, donc. Concept mouvant, instable dans le temps et dans l’espace, sans "définition impérative et homogène", rappelle Schmid, qui ne propose ici, avec modestie, qu’une "petite pause pour reprendre [son] souffle au milieu de l’hystérie du bonheur qui s’étend comme tache d’huile" dans le monde moderne. Bonne nouvelle, assure-t-il, "le bonheur n’est pas l’essentiel dans la vie". Pour commencer, le philosophe en distingue trois types : "le bonheur fortuit" ou "bon heur", "le bonheur du bien-être" (cette maximisation des plaisirs que notre époque recherche pour son malheur avec beaucoup d’acharnement) et le troisième, "le bonheur de la plénitude", "le bonheur proprement philosophique", qui est le plus durable et peut même, c’est son paradoxe, "englober l’être-malheureux". Mais l’établissement de ces trois grandes catégories n’est que la base de réflexion pour propulser le deuxième étage de sa fusée théorique car, pour le philosophe, la véritable question qui se dissimule derrière le bonheur est en réalité "le sens", puisque "c’est sur l’expérience d’une abondance de sens que repose avant tout le bonheur de la plénitude"… Au bout de ce petit traité généreux dans lequel le lecteur ne trouvera aucun conseil mais quelques pistes pour éviter de s’épuiser dans une quête déstabilisante et contre-productive, vous vous sentirez plus gai et plus serein, clairement plus heureux.
Véronique Rossignol