Napalm beach. Les livres d'Antoine Volodine sont un monde à eux tous seuls, un métavers avant la lettre, une cosmogonie crépusculaire, où des êtres défaits se débattent dans le marasme ambiant en quête d'un Graal élusif. Science-fiction sans véritables tropes futuristes mais revisitant volontiers le chamanisme, le folklore fantastique ou l'histoire tragique du XXe siècle... l'écrivain forge une littérature d'un genre nouveau, qu'il a théorisée sous le nom de « post-exotisme ». Trek karmique dans le bardo, no man's land de la transmigration des âmes dans le bouddhisme tibétain (Bardo or not bardo, Seuil, 2004), traversée du désastre parmi les ruines de la « Deuxième Union soviétique » (Terminus radieux, même éditeur, prix Médicis 2014)... Depuis près de quarante ans, Antoine Volodine poursuit la construction de son œuvre post-exotique, qui comportera selon son vœu un total de quarante-neuf titres, signés sous divers hétéronymes : Manuela Draeger (L'École des loisirs, l'Olivier), Lutz Bassmann (Verdier), le collectif Infernus Iohannes (l'Olivier)... Vivre dans le feu, quarante-septième pierre de cet édifice fictionnel « sera le dernier signé Antoine Volodine », annonce l'auteur.
Avant d'anticiper notre nostalgie de la prose volodinienne, revenons sur l'ultime opus. Ici, on a affaire à une trajectoire narrative assez simple avec des lignes de fuite qui partent en volutes de récits merveilleux et de tableaux infernaux dignes de l'art d'un Jérôme Bosch. Sam est un soldat qui voit s'abattre sur lui une vague de napalm. Ne restent que quelques secondes de conscience pour vivre une near death experience. Mais Sam ne veut pas voir son passé défiler à toute allure. Il choisit de prolonger son passage terrestre en s'inventant une généalogie de sorcières, magiciens et autres fakirs. Nous voilà embarqués en compagnie du narrateur dans une tournée des popotes familiale et déjantée. Tante Yoanna conserve à la cave dans des bocaux des homoncules, doubles miniatures d'ennemis, dont grand-père Bödgröm, père honni de Yoanna. Aux funérailles de l'aïeul organisées par sa veuve de grand-mère, Sam est placé à côté sa jolie tante Maïa, « qui était un oiseau » et qui « était nimbée d'un très léger mais permanent remugle de plumes et de guano » ; oncle Slutov apprend au héros comment s'asseoir tranquille au milieu des flammes. L'échappée du corps comme de la raison est une condition liminaire à toute plongée dans un texte de Volodine. « Voyager, c'est bien utile, ça fait travailler l'imagination. Tout le reste n'est que déceptions et fatigues », disait déjà Céline en exergue de Voyage au bout de la nuit. On ajouterait pour le paraphraser : il suffit d'ouvrir un Volodine, « c'est de l'autre côté de la vie ».
Vivre dans le feu
Seuil
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 19 € ; 176 p.
ISBN: 9782021524857