Entretien

Antoine Gallimard : "Nous sommes en ordre de marche"

olivier dion

Antoine Gallimard : "Nous sommes en ordre de marche"

Trois ans après le rachat de Flammarion, le P-DG de Madrigall justifie le regroupement de la diffusion du groupe, la nomination d’un patron unique pour la distribution et la vente de La Hune. Il annonce avoir renégocié sa dette, précise son rôle chez Madrigall et Gallimard, et soutient une hausse de la rémunération des auteurs pour la jeunesse.

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Par Emmanuelle Bour, Fabrice Piault
Créé le 03.07.2015 à 02h04 ,
Mis à jour le 03.07.2015 à 10h38

Antoine Gallimard - La première étape de la construction du groupe Madrigall a consisté à le structurer autour de trois grandes entités éditoriales : Gallimard, Flammarion et Casterman. Je leur ai laissé, à quelques nuances près, leurs structures propres pour la fabrication, le studio et le marketing. Mais nous avons constitué un socle fonctionnel commun avec cinq grandes directions dont les responsables sont issus de Gallimard ou de Flammarion : finances, ressources humaines, juridique, informatique et achats. Ce processus est achevé, et Alexandre de Palmas, auquel j’avais confié depuis 2013 sa mise en œuvre, a choisi aujourd’hui de rejoindre un autre secteur d’activité très éloigné du nôtre.

Ce sont des secteurs où la concurrence est aujourd’hui la plus vive. Il est devenu indispensable de renforcer notre organisation et d’avancer de façon très coordonnée, avec une vision totalement partagée du marché. Bruno Caillet aura donc la tâche de conduire la diffusion Madrigall en s’appuyant sur les dirigeants de nos filiales et entités de diffusion (2). La proximité avec les éditeurs est une priorité. Cela n’empêchera pas chaque marque, chaque maison, de faire valoir et développer ses spécificités. Ex-directrice générale de Volumen et de Loglibris, Karima Gamgit prend la direction générale du CDE où elle remplace Matthias Echenay, qui quitte le groupe. Elle participera ainsi aux réflexions sur notre développement commercial.

Dans la distribution, nos deux centres logistiques vont bénéficier d’outils communs, et sont d’ores et déjà placés sous l’autorité d’un seul directeur, l’actuel dirigeant d’UD, Dominique Wettstein. Il assurera dès maintenant et jusqu’à la fin de l’année le déploiement du système SAP de gestion financière et commerciale à la Sodis.

Le CDE a toujours eu vocation à accueillir des éditeurs de littérature générale et à accompagner leur développement. La force de la maison, c’est sa proximité avec la librairie, son attention aux services qu’elle peut lui rendre. Historiquement, Gallimard, le Seuil puis Flammarion ont toujours été les diffuseurs les plus proches des libraires. C’est la raison pour laquelle il peut y avoir des affinités entre des maisons actuellement diffusées par Volumen et nous-mêmes. Aujourd’hui, nous sommes le premier diffuseur en librairie de 1er et de 2e niveau, avec un peu plus de 20 % de parts de marché. Et la diffusion Madrigall est en forte progression sur les cinq premiers mois de l’année, malgré le départ de quelques diffusés extérieurs au groupe.

Il est vrai que ce départ affecte sensiblement son activité et son résultat d’exploitation. Je le regrette d’autant plus que le travail accompli depuis des années, tant par la Sofédis que par la Sodis, n’est nullement en cause. Nous menons une réflexion avec son directeur, Marc Galitzky, pour trouver de nouveaux clients et partenaires.

C’est une réussite. Cette acquisition nous permet d’aborder plus sereinement les vingt ans qui viennent, autour de nouveaux équilibres éditoriaux et commerciaux. L’année dernière, Gallimard a enregistré de beaux succès, et, en ce début d’année, c’est Flammarion qui a pris le relais avec Gallimard Jeunesse et Futuropolis. Notre diversité éditoriale soutient notre croissance et donne satisfaction puisque Madrigall est en progression de 19 % à fin mai (source GFK) et continue de gagner des parts de marché sur ses concurrents.

Sous la houlette d’Alexandre de Palmas, nous avons renégocié nos conditions de prêt avec nos banques et détendu notre dette. Cela nous permet de voir l’avenir de manière plus sereine. L’augmentation de capital souscrite par LVMH y a contribué, ainsi que la vente d’un actif immobilier. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation financière qui implique certes une certaine vigilance, mais qui est saine et ne doit pas nous empêcher de développer l’entreprise.

Je comprends que la fermeture de cette librairie fondée par Bernard Gheerbrant après-guerre ait heurté la sensibilité de beaucoup, mais nous ne l’avons pas fait de gaieté de cœur. La Hune connaissait des difficultés bien avant que nous achetions Flammarion. Elle était en perte structurelle depuis plusieurs années, et, malgré nos efforts, nous n’avons pas réussi à la redresser. Je tiens à préciser que les collaborateurs de la librairie ont été accompagnés dans le cadre de départs volontaires ou de mobilité à l’intérieur du groupe Madrigall. Ma conviction reste entière dans l’avenir de la librairie, et j’envisage de continuer nos investissements, notamment dans des travaux dans notre librairie historique du boulevard Raspail et dans le Hall du livre, à Nancy, récemment acquise.

Gallimard, Flammarion et Casterman sont comme les trois pics du massif montagneux du groupe. Casterman, qui était une filiale de Flammarion, est devenue une filiale de Madrigall. Ce rattachement témoigne de l’intérêt fort que nous avons pour cette marque et pour son développement. Cette société a deux sites, à Paris et à Bruxelles. Celui de Paris devrait bientôt déménager dans le quartier de Saint-Lazare.

Je souhaite que Madrigall puisse rester une maison familiale. Cette maison nous oblige, tant au titre du respect de ses valeurs intellectuelles que de sa dimension patrimoniale. L’actionnaire doit tenir son rôle. S’il peut être en plus impliqué directement dans la marche de l’entreprise, c’est bien sûr une excellente chose. Mais cette légitimité se construit dans une réalité quotidienne. Et je souhaite que mes filles puissent s’épanouir dans ce rôle si elles en marquent la volonté.

Non, ce n’est pas un handicap dans le secteur de l’édition, qui reste un métier de création proche des écrivains et de leur environnement culturel. Nous n’avons jamais eu de filiales importantes à l’étranger, ce qui ne nous a pas empêché de réaliser de très beaux scores de ventes de droits hors de France, ni de réussir de très belles coéditions internationales, notamment dans le domaine de la jeunesse, des guides ou des beaux livres. Cela dit, nous disposons de deux filiales d’édition au Québec, Edito et Flammarion Québec, ainsi que d’un département de coédition pour les ouvrages illustrés aux Etats-Unis.

A quel moment est-on ou devient-on populaire ? Fred Vargas est populaire en écrivant des romans de grande qualité. Flammarion produit certes des livres que Gallimard ne publierait pas, signés par des humoristes, des hommes de télévision, des sportifs… Mais cette identité éditoriale de Flammarion, héritée des goûts de son fondateur, n’est pas et n’a jamais été exclusive. Du reste, une maison, c’est d’abord la marque de sensibilité d’un éditeur. Si Flammarion s’inscrit encore aujourd’hui dans une tradition populaire, Anna Pavlowitch, sa directrice éditoriale pour la littérature, a aussi montré son aptitude à découvrir de nouvelles voix.

J’ai deux métiers : je reste le responsable éditorial de la maison Gallimard, et je préside à la stratégie et à l’organisation de Madrigall. Si j’ai aujourd’hui un vrai défi sur la diffusion et la distribution du groupe, je dois malgré tout rester à l’écoute, comme tout éditeur, des nouveaux talents. J’ai toujours aimé être proche des écrivains et de mes collaborateurs éditoriaux. Et j’apprécie beaucoup le fait d’animer tous les mois notre comité de lecture.

Il n’y a aucune urgence. Notre maison est bien charpentée, avec un secrétariat général, des patrons de maison, des responsables par grand secteur. Nous sommes en ordre de marche. Il n’y a pas de problématique de pilotage du groupe, mais cela demeure un sujet de réflexion.

Il est vraiment positif. J’en veux pour preuve qu’Eden a été retenue par FeniXX comme plateforme de distribution numérique, et qu’elle assure l’intégration du dispositif interprofessionnel Hologram contre le piratage. Eden sert aussi de plateforme pour le prêt numérique en bibliothèque, auquel nous sommes attachés, et accueille à ce titre les catalogues numériques d’Editis. Eden Livres a pour vocation d’être un outil de mutualisation entre maisons, une coopérative au service des diffuseurs et des éditeurs, avec aujourd’hui 250 marques d’édition distribuées.

Il a été secoué ces dernières années par la faillite de Virgin, la fermeture de Chapitre et la réduction de l’offre de certaines grandes chaînes. Mais aujourd’hui, on sent que la librairie exprime une nouvelle vitalité en renforçant sa proximité avec les lecteurs. Il est indispensable de maintenir une certaine vigilance sur les retours, qui constituent une vraie faiblesse de notre chaîne de valeur. A côté des best-sellers qui continuent de soutenir le marché, et des nouveaux phénomènes éditoriaux issus de l’autoédition et des communautés de lecteurs, comment continuer à défendre la création littéraire et le débat des idées ? C’est une vraie question qui engage nos programmes et notre façon de les défendre.

Oui, je contribue à ce fonds par solidarité via l’Adelc. Il ne s’agit pas de se donner bonne conscience, mais d’offrir aux libraires les moyens structurels propres à assurer leur développement. Et il existe plusieurs moyens d’atteindre cet objectif, au travers de notre politique commerciale en particulier. Je rappelle que nous avons repris une des librairies Chapitre, le Hall du livre de Nancy.

Je comprends particulièrement le mécontentement des auteurs de romans pour la jeunesse sur leur rémunération. Il serait souhaitable que le niveau se rapproche de celui des romans adultes, même si on doit tenir compte de spécificités du secteur jeunesse, caractérisé par des ventes moyennes et des prix de marché inférieurs. Nous avons du reste commencé à agir dans ce sens au sein de notre groupe. En revanche, je ne trouve pas pertinent de taxer le domaine public pour financer la retraite complémentaire des auteurs, comme le suggèrent certaines association d’écrivains.

(1) Voir "Valse des cadres chez Madrigall", LH 1048, du 26.6.2015, p.48.

(2) La diffusion Madrigall comprend 6 pôles totalisant neuf équipes de représentants : Littérature et poche Gallimard (2 équipes), Flammarion littérature et poche (2 équipes), BD-jeunesse Casterman et Flammarion (1 équipe), Gallimard jeunesse (1 équipe), CDE (2 équipes), Sofédis (1 équipe).

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