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Annie Ernaux: "C'est un temps pour désirer un nouveau monde."

Annie Ernaux - Photo Catherine Hélie/Gallimard

Annie Ernaux: "C'est un temps pour désirer un nouveau monde."

Annie Ernaux, dans une lettre lue lundi 30 mars au matin sur France Inter, interpelle Emmanuel Macron sur la défense primordiale des services publics, la fin d'un modèle libéral et financier et l'importance du choix des mots dans les discours.

Par Vincy Thomas,
Créé le 31.03.2020 à 18h15

Du lundi au vendredi, Augustin Trapenard remplace les humoristes de la matinale de France Inter, à 8h55, pour lire une lettre d'un écrivain ou d'un artiste. Ce lundi 30 mars, il a lu celle d'Annie Ernaux : "Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie..."

Dans cette lettre à Emmanuel Macron, l'écrivaine s'interroge sur la rhétorique martiale du président de la République, tout en soulignant les contradictions de sa politique libérale dans un contexte de crise sanitaire. "Choix étrange que le mot «résilience», signifiant reconstruction après un traumatisme. Nous n’en sommes pas là", alerte l'auteure des Années en référence au nom donné par l'Elysée à l'opération annoncée dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19.

"A vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la chanson de Boris Vian, Le déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie. Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les différences sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre. Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, de soignants", écrit-elle.
 
La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

"Depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé", rappelle Annie Ernaux, "mais vous avez préféré écouter ceux qui prônent le désengagement de l’Etat, préconisant l’optimisation des ressources, la régulation des flux, tout ce jargon technocratique dépourvu de chair qui noie le poisson de la réalité. Mais, regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays : les hôpitaux, l’Education nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF. Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien, sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de taper les produits aux caisses, de  livrer des pizzas, de garantir cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle,  la vie matérielle." 

Nouveau monde

Inquiète des effets de ce temps de confinement, l'auteure croit qu'il s'agit d'un temps propice aux remises en cause: "Un temps pour désirer un nouveau monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent  déjà  sans pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, nombreux à vouloir au contraire un monde où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité."

"Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie, nous n’avons qu’elle, et  «rien ne vaut la vie» –  chanson, encore, d’Alain  Souchon. Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui  permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale", conclut-elle.




 

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