Les vitrines de La Sardine à lire (à Paris) sont pour les petits Parisiens presque aussi célèbres que celles des grands magasins au moment de Noël. Pour Delphine Beccaria, fondatrice de la librairie, et son acolyte, la libraire surnommée Chamo, la vitrine est tout un art. C’est un jeu et un plaisir renouvelé toutes les trois semaines. Squelettes et ambiance Halloween pour Os court ! de Jean-Luc Fromental et Joëlle Jolivet (Hélium), explosion de ronds de couleur pour le pop-up Alice au pays des merveilles de Yayoi Kusama (Hélium), vitrine blanche comme un musée avec les œuvres d’art d’Anouk Ricard, jungle, vitrine "toc-toc" (à deviner) ou spéciale "burger" sous le slogan "Sardine Burger, une librairie qui a du goût"… Le plus souvent, accompagnées d’un jeu et d’un cadeau, comme chanter la chanson du dessin animé Barbapapa ou "trouver une rime avec "squelette" pour gagner une sucette", nos deux libraires se déchaînent. "Entrer dans une librairie et affronter un adulte n’est pas facile pour un enfant mais l’envie de la sucette est parfois plus forte", raconte Delphine Beccaria, qui a bien sûr eu droit aux termes "quéquette" et "toilette".
"Les objets et la mise en scène rendent hommage à un artiste, un illustrateur, un univers graphique", ajoute Delphine Beccaria, qui recherche avant tout des thèmes "marrants, qui permettent de mettre en avant le fonds et des titres qu’on a un peu oubliés dans nos rayons". Parce qu’elle propose jeux, jouets "et autres bidules", elle les utilise pour mettre en scène ses vitrines "dont tous les produits sont à vendre, dans la continuité du magasin". Delphine Beccaria, qui a suivi un stage d’étalagiste, et Chamo avouent un goût pour l’art, le graphisme et la mode, auquel les clients sont sensibles. "La librairie est excentrée : nos vitrines attirent nos clients qui savent qu’on les change régulièrement et viennent les voir", conclut Delphine Beccaria.
Il y a parfois des ratés : la mise en scène avec tractopelles soulevant du pop-corn a attiré des insectes. Quant à la vitrine de Noël, c’est un vrai casse-tête, parce qu’il faut "y mettre les livres qu’on aime et qu’on veut défendre, trouver une cohérence par les objets et… éviter le rouge et le vert, les Pères Noël et le sapin". Pour ce Noël 2015, elle promet des licornes, du fluo et des paillettes, et une chenille géante pour le jour de l’An.
Pôle attractif du quartier
Si la vitrine est un moyen de faire entrer les clients dans la librairie, les signatures et les animations permettent de les fidéliser. La librairie y gagne aussi en image et devient un lieu culturel dynamique, où il se passe toujours quelque chose, un pôle attractif du quartier. "Mais cela oblige le libraire à revêtir les habits d’animateur et bouleverse parfois la relation à l’éditeur. Et il ne remplace pas le centre aéré", souligne Stéphanie Malléa, ancienne libraire aux Buveurs d’encre à Paris, et désormais à la tête de ComJ, spécialisée dans les conseils aux libraires jeunesse. Depuis dix ans, Albin Michel Jeunesse organise et finance les visites de Geronimo Stilton en librairie, incarné par trois comédiens, tous les week-ends et tous les mercredis, tandis que le personnage de Téa Stilton commence sa carrière. "Les libraires sont en demande. C’est un vrai soutien du succès : on ne doute pas une seconde de l’utilité de la promotion", souligne Marion Jablonski, directrice d’Albin Michel Jeunesse. Pour la sortie de Chat chat chat de Pascal Parisot, auteur-compositeur-interprète, Didier Jeunesse propose des mini-concerts. La Sardine à lire déborde d’imagination. Avec "Pour le dimanche matin en pyjama", autour de la collection "Pyjamarama" du Rouergue et de Ma vie en pyjama à L’Ecole des loisirs, les deux libraires ont réussi à faire venir leurs clients en chaussons et tous les enfants en pyjama… Elles ont aussi organisé une chasse aux Mous, cachés dans les rayons de la librairie, du nom des personnages de l’album de Delphine Durand, Les Mous, au Rouergue, un "Tattoo Day" ou une "Journée Moustache".
File d’attente devant la librairie
Pour ses 50 ans, L’Ecole des loisirs a proposé, entre autres choses, un atelier "boîte à bisous" autour de Zou, coloriage autour des cahiers d’activités de Soledad Bravi, un concours de dessins à propos des Trois brigands. "Les clients viennent chercher les modalités du concours, font le dessin à la maison, reviennent remettre le bulletin de participation, puis assistent à la remise du prix, souvent accompagnée d’une exposition des dessins et d’un goûter : cela crée un trafic dans le magasin et fidélise les clients", souligne Stéphanie Malléa, qui prépare un concours pour les toutes jeunes éditions des Eléphants autour des héros Igor et Souky. Ateliers scientifiques pour les "Petits débrouillards" d’Albin Michel Jeunesse, ateliers d’activités manuelles ("lunettes") avec le magazine Georges à la librairie Les Buveurs d’encre, atelier cuisine avec Les contes de la ferme d’Usborne (réaliser des animaux en pâte d’amande)…, tout l’art de l’animation réside dans la variété des activités proposées et des tranches d’âge auxquelles elles s’adressent.
Comment avertir les clients ? Pour une meilleure visibilité, Delphine Beccaria a acquis un logiciel gestionnaire de newsletter et a constaté une plus grande fréquentation de ses animations. Pour le lancement de Percy Jackson et les dieux grecs (2014) et Percy Jackson et les héros grecs (2015), Albin Michel Jeunesse a relayé sa chasse au trésor sur la page Facebook Percy Jackson, qui compte 100 000 fans. Trois indices étaient postés sur la page, le dernier le vendredi soir, pour trouver un mot-clé qui permettait de recevoir un des douze exemplaires en édition collector du titre en librairie. Quarante libraires ont participé à l’opération : "ils n’en revenaient pas de voir la file d’attente devant la librairie dès l’ouverture et ont apprécié que le concours ramène les ados en librairie. C’est aussi intéressant de voir comment Internet offre ainsi un retour dans le monde réel", commente Marion Jablonski. "Les musées organisent des animations, des parcours, des visites guidées… Pourquoi pas les librairies ?" interroge Stéphanie Malléa. Alors Delphine Beccaria se prend à rêver d’un financement pour un "grand espace où elle puisse proposer des expositions, organiser des ateliers et… des boums pour les enfants".