Vents violents. Comment naissent le chaos et la barbarie ? Ils semblent présents depuis la nuit des temps mais ils ne germent pas innocemment. Telle une ethnologue, Ananda Devi tente de saisir les graines de la haine, qui peuvent gangrener nos sociétés ou nos âmes. Elle pose cette fois son encrier au cœur de ses origines. « On m'appelle "pays", mais je suis un archipel » si contradictoire, dans lequel est née l'autrice. Être mauricienne a influencé sa pensée et son regard implacable sur la nature humaine. Une terre réelle et imaginaire, où se côtoient le paradis et l'enfer. « L'île agonise. Splendeur déchue. Les habitants se sentiront bientôt abandonnés du monde. » Ce dernier « part en fumée, en furie, en éruption ». Est-ce encore possible de l'arrêter avant son explosion ?

Telle une pietà inattendue, un jeune garçon surgit des ténèbres en portant une enfant en sang. Mais loin de symboliser le Sauveur, il incarne un caïd sans foi ni loi. Zigzig a des humeurs en zigzag, qui désarçonnent ses complices et ses ennemis. Mais que savent-ils de ce qu'il a vu au sein de sa famille ? « Il comprend qu'il est né pour venger. » Aussi le perçoit-on comme « le messie lépreux. Le chantre du chaos ». Alors que ce dernier embrase la ville de Port-Louis, le roman déterre le passé pour expliquer à quel point « l'origine du séisme c'était la rage. Le sentiment du désastre. Et aucune possibilité d'échappatoire ». Un sentiment partagé par Nandini, qui espère aussi s'évader de sa propre vie. Pourquoi se contenter d'une cage conjugale quand on aspire à la liberté ? Un cheminement de femme et d'épouse parfaite, si courant et révoltant. Elle fuit son foyer pour déployer ses ailes. « Tout a été l'œuvre de ce hasard efficace. Ou si l'on préfère, du destin », puisque sa route croise celle de René, un homme qui a renoncé à l'existence et à lui-même. Seul son rôle d'oncle lui apporte un peu de douceur au cœur. Tel un ange, vêtu d'une robe blanche, la petite Sara représente sa joie. « Cela ne pouvait pas exister, quelque chose d'aussi beau, ici en ces lieux. L'amour. » Mais les vautours rôdent partout... En se heurtant les uns aux autres, tous ces protagonistes vont révéler leurs blessures profondes et une terre en souffrance, empoisonnée par la guerre des gangs. Terriblement puissante, la poésie d'Ananda Devi parvient à rendre cette noirceur si sublime que cela en devient troublant.