On sait d'elle qu'elle est née le 13 août 1967 à Kobe au Japon, vient d'une famille de l'aristocratie belge, a besoin d'une coupe de champagne en dédicace, affectionne les prénoms bizarroïdes et sera comme chaque année l'un des auteurs les plus attendus de la rentrée littéraire. Avec la même mécanique : le titre de son nouveau roman, Barbe Bleue, est dévoilé à l'approche de l'été, mais rien du contenu ne filtrera avant août. Véritable machine à best-seller qui se définit comme un électron libre surproductif, elle s'est construit en vingt ans une aura d'écrivaine prolifique et excentrique. Décryptage du système Amélie Nothomb.
Fidèle
Chaque rentrée littéraire depuis vingt ans, un nouveau livre d'Amélie Nothomb sort des presses sous la casaque Albin Michel. Un record de longévité chez le même éditeur pour un auteur de best-seller. "Bien évidemment, ce ne sont pas les offres séduisantes qui ont manqué", reconnaît l'écrivaine qui se considère en effet d'une fidélité éditoriale peu commune. "Mais je n'ai pas encore tellement été tentée par l'adultère. C'est comme toutes les belles histoires d'amour, ça se fait à deux : aussi longtemps que ça marche, je pense que ça vaut la peine d'être fidèle." La reconnaissance et l'amitié sont les principales raisons de son attachement à sa maison d'édition : "J'ai une nature reconnaissante, je n'oublie jamais que la première personne qui a eu confiance en moi était Francis Esménard." Et si un jour l'alchimie s'évaporait ? "Je ne suis pas prisonnière, et si les conditions de cette maison changeaient, bien évidemment je ne me sentirais retenue par rien", concède-t-elle.
Assidue
Amélie Nothomb ne se lève jamais après 4 heures du matin et écrit au moins quatre heures par jour. En voyage, malade, fatiguée. Peu importe. Le rythme est vital. "La motivation de mon comportement, qui est d'une régularité presque effrayante, c'est la conscience profonde que j'ai un besoin dramatique d'un minimum d'équilibre. C'est non négociable, c'est une espèce de pacte que j'ai passé avec moi-même non pas par plaisir du défi, mais parce que je suis très au courant du monstre qu'il faut contenir." Une régularité qui se traduit aussi dans sa cadence de publication : au moins un roman par an. Elle dit pourtant ne pas avoir d'obligation : "Je pourrais très bien ne pas proposer de manuscrit à mon éditeur. Je n'ai pas de besoins financiers, donc ce n'est pas de cet ordre-là", réfléchit-elle. Plutôt une question d'équilibre. Publier au moins un livre par an la contraint à voir régulièrement des gens, à mener une vie normale. Notamment de septembre à décembre, où elle accomplit un marathon de dédicaces à travers la France (au rythme de deux séances par semaine) pour la promo de son nouveau roman. "Ça a un côté socialisant", reconnaît celle qui dit avoir vécu dans un désert relationnel avant d'être connue.
Prolifique
Amélie Nothomb écrit entre trois et quatre manuscrits chaque année. Et est en train d'écrire son... 75e roman. Pourquoi alors ne pas publier plus ? "Il peut arriver qu'au sein de cet océan de manuscrits, l'un d'entre eux me paraisse digne d'être partagé." Seul celui-là atterrit sur le bureau de son éditeur, qui ne verra jamais les autres textes. "Je m'arroge à moi-même la prérogative de choisir. J'ai conscience que décider seule multiplie le risque d'erreurs. Mais j'assume totalement ce risque. Je suis persuadée que tout montrer serait une erreur plus grande encore." Les autres manuscrits logent dans des boîtes à chaussures dans un appartement bruxellois et sont protégés par un testament "qui interdit qu'ils soient lus, accessibles et détruits".
Maternelle
Pour Amélie Nothomb, l'acte d'écriture est une grossesse. Ses livres sont ses enfants. Si elle reconnaît retrouver ses obsessions au coeur de son oeuvre, elle dit ne pas être maîtresse de ce qui se déroule dans ses romans. "On tombe enceinte de ce qu'on peut. On aimerait bien être toujours enceinte d'un génie blond aux yeux bleus, magnifique, mesurant 1 m 80. Mais dans la réalité ce n'est pas ça du tout qui se passe. Il faut quand même aimer cette créature. Ce n'est pas toujours facile. Heureusement je suis d'une nature affectueuse, donc je m'applique toujours à aimer ce dont j'accouche." Elle s'estime ainsi imperméable aux éloges qu'aux insultes et soutient qu'aucun de ses romans n'est soumis à des pressions extérieures : "L'acte de la grossesse est un acte tellement intime que rien ne peut avoir d'incidence sur ce que j'écris."
Noire
Vêtements noirs, longs cheveux, yeux fardés, bouche rouge sang. L'écrivaine cultive un style gothique. Sans le vouloir, assure-t-elle. "Un jour, je me suis aperçue que j'avais en tant que célébrité une image. Ça m'a stupéfaite : aussi longtemps qu'on ne m'avait pas dit que j'étais gothique, je ne connaissais pas l'usage de ce mot dans ce sens ni l'existence du mouvement", se souvient-elle. Elle dit vivre avec une très grande désinvolture cette fatalité "dénuée de toute forme de tragédie" et s'amuse même de se voir poser en couverture de ses livres. "Ça a quelque chose de gratifiant pour quelqu'un qui encore aujourd'hui ne peut pas se voir en peinture." L'écrivaine ne s'en cache pas et l'écrit dans ses romans : elle a du mal à s'accepter physiquement. D'où le chapeau diabolo, déniché il y a quinze ans dans la boutique du modiste bruxellois Elvis Pompilio, qui pour la première fois de sa vie, à l'âge de 30 ans, lui a donné l'impression de se reconnaître dans le miroir.
Epistolaire
Cinq. C'est le nombre d'heures qu'elle consacre à lire et à répondre aux centaines de lettres qu'elle reçoit dans son bureau de la rue Huygens. Toujours courtoise, polie mais plutôt distante en dédicace, l'auteure entretient avec ses lecteurs des relations épistolaires suivies et parfois très intenses. L'échange de courrier, commencé trois jours après la publication d'Hygiène de l'assassin, est resté "minoritaire et charmant" jusqu'à la parution de Stupeur et tremblements en 1999. "Je ne savais pas que je mettais le doigt dans un engrenage qui me dépasserait de beaucoup. Ça a commencé à prendre des proportions un petit peu inquiétantes", se souvient-elle. Un jour, elle a eu le malheur de dire qu'elle aimait beaucoup répondre aux lettres. Les lecteurs ont pris ça pour une invitation. "Ce n'en était pas une, car si j'aime ça, ce n'est pas le but du jeu." Alors qu'elle n'hésitait pas à donner ses coordonnées personnelles au début de sa carrière, elle se dit plus prudente aujourd'hui, pour s'être retrouvée "au milieu de véritables psychodrames".