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Amazon provoque la suspension du prix littéraire des Collégiens

Amazon provoque la suspension du prix littéraire des Collégiens

L'un des prix littéraires les plus appréciés au Québec est officiellement suspendu. En cause: le nouveau mécène, qui n'est autre qu'Amazon. Libraires, éditeurs et auteurs ont vivement réagi à cette annonce et demandent au nouveau gouvernement québécois de trouver une solution alternative.

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Par Vincy Thomas
Créé le 15.11.2018 à 16h01

La cofondatrice du prix des Collégiens Claude Bourgie Bovet a annoncé mercredi 14 novembre, jour de l’inauguration du Salon du livre de Montréal, que l’édition 2019 de la récompense était suspendue.
 
Créé en 2003, le prix des Collégiens, doté de 5000 CAN$, est choisi par 800 collégiens et collégiennes de 62 établissements québécois, ainsi que d’un lycée marseillais et du Lycée français de Chicago.
 
« La décision est la résultante directe de la réaction désolante de plusieurs acteurs du milieu du livre au Québec suivant l’annonce récente d’un appui majeur », explique-t-elle dans un communiqué.
 
Cet appui majeur n’est autre qu’Amazon. Le 9 novembre, lors de la révélation des finalistes du 16e Prix littéraire des collégiens, on parlait davantage du nouveau sponsor du prix que des titres retenus.
 
Selon Radio Canada, le prix n’est pas annulé. Pour l’instant, les livres finalistes ne sont pas envoyés dans les collèges. Le malaise de la profession et les critiques en provenance des libraires comme des enseignants entraînent un manque d’adhésion perceptible. L’accord avec Amazon est, de son côté, maintenu.

Un apport financier indispensable
 
Dans un communiqué, Alexandre Gagnon, vice-président d’Amazon Canada et d’Amazon Mexique, affirme la fierté de son entreprise « d’appuyer le prix littéraire des Collégiens, qui a fait connaître des auteurs locaux à des milliers de jeunes depuis sa création. Nous partageons l’engagement du programme à susciter un amour pour la littérature québécoise, tant dans la province qu’à l’extérieur, et nous avons hâte de développer cette relation au fur et à mesure que nous toucherons de futures générations d’auteurs et de lecteurs. »
 
Claude Bourgie Bovet avait déclaré lors de l'annonce : « L’aide généreuse d’Amazon Canada permettra l’expansion continue du programme dans le cadre de notre mission consistant à encourager les jeunes à lire de la littérature québécoise et à développer leur jugement critique. » Selon les organisateurs, sans l’apport financier du géant du commerce en ligne, le prix n’aurait pas survécu.
 
Mais c’était sans compter l’onde de choc provoquée par ce que représente Amazon pour les libraires indépendants. Durant tout le week-end, le secteur a vivement réagi.

Une question de valeurs
 
Arnaud Foulon, président de l’Association nationale des éditeurs de livres (Anel) rappelle dans un communiqué que « Le comité d’un prix littéraire n’est pas tenu de nous faire part de ses commanditaires, mais dans ce cas-ci, c’était certain que les gens allaient réagir différemment, car ce prix-là a particulièrement été porté par les libraires, explique-t-il. Et là, c’est comme si une librairie étrangère venait cueillir un fruit mûr. Dans quelle mesure Amazon est essentielle à ce prix-là? C’est ce que je veux comme réponse. Je pense qu’on a un devoir de garantir qu’on va protéger l’écosystème du livre d’ici, où chaque maillon de la chaîne a un rôle à jouer. »

Dans le quotidien Le Devoir, la directrice générale de l’Association des libraires du Québec (ALQ), Katherine Fafard, regrette l’absence d’une autre solution plus acceptable : « C’est de l’argent bienvenu, et qui voudrait vraiment s’en priver ? Mais parfois, il y a des valeurs qui doivent être une priorité. Alors qu’on éduque les consommateurs de demain, un prestigieux prix littéraire vient leur envoyer comme message que c’est correct d’acheter sur Amazon. »

Péril pour les libraires

Dans une lettre au Devoirles cinq finalistes du prix des Collégiens 2019 - Karoline Georges, Dominique Fortier, Kevin Lambert, Jean-Christophe Réhel, Lula Carballo - et leurs éditeurs - Alto, Héliotrope, Del Busso, et Cheval d’Août – expriment un point de vue similaire : « Notre immense malaise provient de la concurrence dangereuse que ce géant exerce contre les librairies du Québec. Faut-il rappeler la précarité du commerce du livre et de l’édition ? Faut-il citer les méthodes inhumaines de ce géant de la vente en ligne, qui constitue un péril pour les petits commerçants et les milieux culturels ? » 
 
Dans le quotidien québécois, Bruno Lemieux, membre du comité organisateur, s’avoue « plus choqué de voir le gouvernement du Québec retirer tout son financement l’an dernier que de voir la proposition de commandite d’Amazon. On a eu Banque Nationale, RBC, Québecor ces dernières années, et on savait que ça faisait grincer déjà des dents. Avec Amazon, on s’attendait à une zone de turbulence, mais pas de cette ampleur. » Selon lui, le mécénat d’Amazon permet de pérenniser l’organisation de ce prix tout en conservant son indépendance.

Le gouvernement interpellé

L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) a « déploré la suspension du prix littéraire des Collégiens », dans un communiqué daté du 14 novembre. « Il s’agit également d’un outil fabuleux pour faire aimer la lecture et encourager les jeunes à y consacrer davantage de temps », rappelle l’UNEQ.

Le directeur général de l’UNEQ, Laurent Dubois, ajoute que son organisme n’a jamais « souhaité que cette édition soit suspendue, car cela n’est bénéfique pour personne. Nous demandons au gouvernement québécois de trouver des solutions rapides de financement pour ce prix essentiel à la diffusion de notre littérature afin que l’édition 2019 puisse avoir lieu et que l’organisation puisse bénéficier d'un soutien qui assure sa pérennité. »

Tous plaident pour une solution québécoise et plutôt publique. Bruno Lemieux, dans Le Devoir, profite de cette crise pour lancer un appel au nouveau gouvernement de François Legault : « S’il veut vraiment raviver l’éducation au Québec et aider dans la foulée toute la chaîne du livre, il a une excellente occasion d’y contribuer par le prix des Collégiens. »

Le dossier est désormais sur le bureau de la nouvelle ministre Nathalie Roy, qui s’est engagée à évaluer toutes les options pour que le prix revienne l’année prochaine.

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