Avant-critique Bande dessinée

Aline Kominsky-Crumb, "Sacrée Bunche. Bouffe, sexe, mort, douleur, romance, joie" (L'Association)

Sacrée Bunche - Photo © Aline Kominsky-Crumb/L'Association

Aline Kominsky-Crumb, "Sacrée Bunche. Bouffe, sexe, mort, douleur, romance, joie" (L'Association)

Crus, drôles, outrés, percutants, les récits autobiographiques d'Aline Kominsky-Crumb, pionnière du genre, paraissent enfin en France.

Parution le 15 janvier

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Par Anne-Claire Norot
Créé le 14.01.2025 à 09h00

Une vie dans les marges. Les œuvres d'Aline Kominsky-Crumb, décédée en 2022, n'avaient jamais été éditées en France, à l'exception de l'album Parlez-moi d'amour réalisé avec son mari Robert Crumb (Denoël, 2011). Le tort est enfin réparé avec l'anthologie Sacrée Bunche qui paraît à L'Association. Remarquablement traduite par Sophie Crumb (fille du couple) avec l'aide de Jean-Pierre Mercier, elle comporte des histoires autobiographiques datant de 1975 à 2014. Quelle vie, et quelle verve pour la raconter ! Outrance et autodépréciation sont les moteurs de la narration d'Aline Kominsky-Crumb. Sans fard, avec beaucoup d'humour, la parole très crue, elle règle ses comptes à travers son alter ego, la Bunche. Père raciste, violent, limite incestueux, arnaqueur, qui la rabaisse constamment ; mère dénuée de tendresse, qui, à 11 ans, l'expédie pour ses vacances en cure d'amaigrissement ; profs de fac libidineux ; premier amour qui la force ; premier mari insipide... elle a des baffes à distribuer. Mais c'est elle, avant tout, dont elle se moque et qu'elle tabasse. Elle ne cache rien de sa vie folle et libérée, de ses rêves érotiques, de ses fantasmes, de ses amants, de ses années de « hippie défoncée ». Jamais politiquement correcte, elle parle crûment de drogue (elle en expérimente plein) et de cul (elle aime beaucoup ça). Rarement en paix avec elle-même, Aline Kominsky-Crumb exprime aussi ses doutes, son insécurité, ses complexes sur son physique comme sur son talent : « Ma personnalité est comme du vomi », « La Bunche ne sait pas dessiner »... Sa parole se fait néanmoins toujours tendre quand elle parle de Robert Crumb, « Bob », même si leur mariage fut des plus libre.

Pour autant, le propos de cette pionnière de l'autobiographie en BD est tout sauf nombriliste. Derrière sa tornade de confessions, ce sont les mythes du corps, de la beauté, de la jeunesse qu'elle déboulonne. Elle porte un regard sans concession sur les États-Unis (que les Crumb ont quitté pour s'installer dans le Sud de la France), montre l'envers du rêve américain, sa violence et son hypocrisie. Enfin, cet album permet de contredire la Bunche : Aline Kominsky-Crumb avait bel et bien un immense talent. Elle qui a abandonné l'art (qu'elle a longuement étudié) pour la BD, après avoir notamment découvert le travail autobiographique du précurseur Justin Green, n'avait aucun complexe à avoir sur son dessin. Certes, il ne cherche pas à être parfait ; mais il est tour à tour spectaculaire, nerveux, expressif, expressionniste, précis, mal léché, en un mot : vivant. Un dessin qui, surtout, parvient à saisir une autrice dans toute sa vibrante complexité.

Aline Kominsky-Crumb
Sacrée Bunche. Bouffe, sexe, mort, douleur, romance, joie
L'Association
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Sophie Crumb, avec l’aide de Jean-Pierre Mercier
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 35 € ; 216 p.
ISBN: 9782844149510

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