La plupart des professionnels de la culture viennent de découvrir l’existence de l’acronyme ACTA. Fin février, en effet, Karel de Gucht, l e commissaire au Commerce au sein de la Commission européenne a indiqué que celle-ci allait saisir la Cour de justice de l'Union européenne «  sur une quelconque incompatibilité d'ACTA avec les droits et libertés fondamentaux de l'Union européenne, tels que la liberté d'expression et d'information et la protection des données ». Et ce, alors que le Parlement européen devait commencer d’examiner, le 29 février, en commission, le texte de cette convention internationale. L’ ACTA (pour Anti-Counterfeiting Trade Agreement ) est un énième traité international destiné à lutter contre la contrefaçon au sens large : depuis la contrefaçon des médicaments et autres marchandises, telles la maroquinerie de luxe, jusqu’au téléchargement illégal sur Internet, assimilé en droit à une contrefaçon. En pratique, ACTA vise à instaurer une coopération et une unification des législations en matière de lutte contre la contrefaçon. Il a été négocié par plusieurs États, depuis bientôt quatre ans, dans des conditions plus ou moins opaques. Originellement, le but officiel aurait été d’agir au sein des économies émergentes , «  où la propriété intellectuelle pourrait être améliorée, comme la Chine, la Russie ou le Brésil  ». A l’arrivée, les parties prenantes sont l’ Australie , le Canada , la Corée du Sud , les Émirats arabes unis , les États-Unis , le Japon , la Jordanie , le Maroc , le Mexique , la Nouvelle-Zélande , Singapour , la Suisse et l’ Union européenne . Et les lobbies de l’industrie du divertissement auraient fortement pesé dans la rédaction du texte. Le 26 janvier 2012, le texte final était signé à Tokyo par le Comité exécutif de l’Union européenne, et ce, sans le moindre débat démocratique. Le même jour, le rapporteur démissionnait. Les points d’achoppement, en effet, sont nombreux, et suscitent depuis janvier une levée de bouclier dans plusieurs pays. S’agissant des médicaments génériques, par exemple, autorisés dans certains pays et pas d’autres, ACTA pourrait, au nom   du droit des marques et des brevets, freiner l’accès des pays pauvres à ces médicaments meilleur marché. Mais c’est évidemment dans le domaine de l’Internet que ce nouveau traité provoque les réactions les plus violentes. Pour ses détracteurs, ACTA est une offensive de plus, mais non des moindres, contre le partage de la culture sur Internet. Certaines dispositions du traité semblent en effet leur donner raison. Ainsi, les autorités d’un pays signataire pourront ordonner à un fournisseur d’accès à Internet de divulguer « rapidement » aux ayants droit l’identité d’un internaute qui aurait téléchargé des œuvres soumises au droit d’auteur, une méthode proche de celle de notre Hadopi hexagonale. Le traité prévoit également les sanctions à appliquer aux fautifs (avec une «  proportionnalité  » entre la gravité de l’atteinte et les peines applicables) : dommages-intérêts à verser aux ayants droit, sanctions pénales allant jusqu’à «  l’emprisonnement, ainsi que des amendes » en cas « d’actes délibérés de contrefaçon (…) ou de piratage portant atteinte à un droit d’auteur ou à des droits connexes, commis à une échelle commerciale  ». L’ACTA prévoit aussi de sanctionner la suppression de métadonnées (qui identifient l’œuvre, ses ayants droit, les conditions d’utilisation, etc.). Le flou des dispositions du traité n’a pas peu contribué à alimenter les pires rumeurs (par exemple, qu’il deviendrait désormais légal de fouiller le contenu des lecteurs MP3 dans les aéroports pour vérifier qu’ils ne renferment pas de fichiers téléchargés illégalement : on imagine les retards au décollage des avions…). En outre, l’ACTA prévoit la création   de son propre organisme de gouvernance, appelé le Comité, qui œuvrerait en parallèle des autres autorités internationales en matière de propriété intellectuelle (et notamment de l’ Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ). Et ce afin, ont avancé ses défenseurs, de rendre le cadre juridique plus flexible, donc plus transversal… Mais c’est là un autre point d’achoppement majeur, car le Comité détiendrait le pouvoir d’amender le texte du traité — sous réserve, quand même ! de l’accord des parties signataires. En d’autres termes, si le traité est ratifié, il pourra être modifié à l’initiative du Comité, sans besoin d’être revalidé à chaque fois, ce qui outrepasse une nouvelle fois tout principe démocratique. L'Allemagne, la Bulgarie, la Roumanie et la Lituanie ont, entre autres, suspendu la ratification. Le Premier ministre polonais, dont le pays avait un temps approuvé le texte, a récemment résumé le sentiment désormais dominant chez nombre de politiques : «  l’ACTA est une tentative de faire respecter les droits d'auteur, mais au prix de la liberté, qui est trop élevé  ». En France, l’ACTA pourrait bien s’inviter dans la campagne des présidentielles.  
15.10 2013

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