Les auteurs restés fidèles à un personnage et une série au long cours depuis les années 1970-1980 sont rares. Frank Le Gall avec Théodore Poussin, Roger Leloup avec Yoko Tsuno, Cosey avec Jonathan (même si la série s'est achevée en 2021) sont de ceux-là, tout comme le discret Alain Dodier et son Jérôme K. Jérôme Bloche. La série, qui met en scène les aventures d'un jeune détective privé, a été créée en 1982 par Pierre Makyo, Serge le Tendre et Dodier, mais ce dernier trace son sillon seul depuis 1989 et le tome 6. Ses albums, récompensés par le Prix de la série à Angoulême en 2010, paraissent depuis avec une régularité métronomique. Dodier fait preuve d'une constance exemplaire tant dans la qualité de ses récits, souvent des drames familiaux et humains, que dans leur efficacité sans esbroufe. Ce vingt-huitième tome, Pour le pire, cette fois-ci dans le registre du thriller psychologique, en est encore la preuve.
Jérôme, qui n'a jamais réussi à obtenir son permis de conduire, fait une nouvelle tentative. N'écoutant que son bon cœur, il sabote son examen pour sauver Rebecca, une jeune femme en robe de mariée qui tente de se suicider en sautant d'un pont. La désespérée est finalement très reconnaissante envers Jérôme, un peu trop même puisqu'elle finit par semer la zizanie entre le détective et sa fiancée Babette. Heureusement, les amis de toujours, Madame Zelda la voyante, Madame Rose la concierge, le père Arthur, Burhan l'épicier, veillent au grain. Et aideront Jérôme à découvrir qui est vraiment Rebecca.
L'intrigue, qui débute par un ébouriffant enchaînement de rêves (ou plutôt de cauchemars) et de flash-back, est menée à vive allure. Les décors particulièrement soignés et réussis − la minéralité sèche de Paris, la grisaille des banlieues - tout comme l'attention portée aux détails − un biscuit grignoté sur une table, la vaisselle dans l'évier, une rampe d'escalier typique d'un immeuble parisien... - ajoutent au réalisme de l'ensemble. On n'est pas ici dans un univers de polar fantasmé, mais au plus profond de la société française, pas très loin de Maigret.
« Je n'ai jamais réussi à rentrer dans ces polars où le héros est entièrement voué à son travail. Il ne mange pas, ne va pas aux toilettes, n'a pas d'interactions amicales. Qu'est-ce qu'il doit s'ennuyer ! » avouait Dodier dans une interview à Spirou. Pas de doute, son héros ne s'ennuie pas, et nous non plus.
Jérôme K. Jérôme Bloche. Vol. 28. Et pour le pire
Dupuis
Tirage: 21 000 ex.
Prix: 13,95 € ; 72 p.
ISBN: 9791034757015