Mon premier a quinze ans. Mon deuxième, vingt-quatre. Ma troisième, trente-neuf. Mon premier, Desmond Pepperdine, couche avec ma troisième, Grace, qui se trouve être sa grand-mère et préférerait que mon deuxième, Lionel Asbo (acronyme d’Anti-Social Behaviour Orders), son oncle avec qui il vit quand celui-ci n’est pas en prison, ne l’apprenne pas. Tout ce petit monde enchanté, auquel il faut ajouter deux molosses dressés à tuer, des hectolitres de bière, des centaines de films pornos, une fine connaissance chez chacun des protagonistes à peu près analphabètes du code de procédure pénale porte un nom : l’Angleterre.
En littérature aussi, cela porte un nom : la satire, la farce, plus morale sans doute qu’elle ne veut bien l’admettre. Lionel Asbo, l’état de l’Angleterre - cette odyssée pour quelques affreux, cet Affreux, sales et méchants à la sauce à la menthe - confirme en tout cas, après le très beau La veuve enceinte (Gallimard, 2012), la forme éblouissante de Martin Amis. On retrouvera dans ces pages, en plus trash encore, toute la vigueur des premiers livres, London fields ou surtout Money, money, toute cette haine d’un pays sclérosé par ses classes que transcende un humour grinçant qui le rapproche de la génération des angry young men de son père Kingsley. Nicola Barker a pu écrire de ce Lionel Asbo que c’était « un filet mignon en forme de Big Mac ». C’est exactement cela. C’est un livre inclassable, réactionnaire, furieux, triste, intelligent, infiniment sauvage. C’est du Dickens sous amphétamines… Il faut une certaine dose de méchanceté sans doute pour observer aussi finement son temps et ceux qui l’habitent. Peut-être pourra-t-on concevoir qu’il faut aussi pas mal de courage.
Olivier Mony