Bien sûr, il y eut Hemingway, Dos Passos, Malraux, Orwell, nul ne peut l'ignorer. Mais qui se souvient vraiment que parmi les écrivains qui s'engagèrent sur le front d'Espagne aux côtés des Républicains et au sein des Brigades Internationales, il y eut aussi Simone Weil et combien ce séjour, pour bref qu'il fut (quelques semaines d'août et septembre 1936), fut déterminant dans la construction anarcho-chrétienne de sa pensée ? À Barcelone et sur le front d'Aragon, elle fut de l'aventure de la fameuse colonne Durruti, avant que de devoir, gravement brûlée et à l'instigation de ses parents, rentrer en France - non sans avoir au passage perçu les excès meurtriers de son camp et combien la guerre condamne inévitablement à l'apostasie assassine de toute idéologie, aussi louable fût-elle. C'est ce qu'elle écrira à Georges Bernanos pourtant initialement plutôt du côté des Nationalistes et qui depuis Majorque, écœuré par ce qu'il a vu, écrit son magnifique pamphlet Les grands cimetières sous la lune, qui lui vaut l'admiration de la philosophe. Une lettre sublime que le romancier gardera toujours par-devers lui et qui ne sera découverte qu'après sa mort. Quant à Simone, elle s'éteint à Londres (où elle a rejoint les FFL) en 1943, d'épuisement autant que de tuberculose.

Voilà tout le propos de Colonne, le nouveau livre d'Adrien Bosc. Ceux qui ont déjà lu les précédents, Constellation et Capitaine (Stock, 2014 et 2018) ne s'étonneront pas d'y retrouver son goût pour les stupeurs, les failles, les tremblements, de l'Histoire. Il s'attelle à son récit avec une minutie, un sens de la narration qui l'apparente à ces grandes œuvres de la non-fiction novel qu'il a tant contribué à faire mieux connaître en France grâce à son travail d'éditeur aux éditions du Sous-sol. Il excelle à restituer les errances et les états d'âme, l'effarement parfois, de ces hommes et de ces femmes peu à peu perdus dans les limbes de leur enthousiasme premier. Surtout, Bosc parvient, avec une vraie grâce, à faire comprendre sa fascination profonde pour cette comète tragique que fut Simone Weil, petite française malingre, exaltée et si courageuse. Et à nous la restituer aussi vivante que le demeurent ses écrits.