Pleine conscience. Dans son recueil Porter, Ada Limón, vingt-quatrième poète lauréate des États-Unis, compose un parcours méditatif d'une extrême sensibilité sur le monde contemporain. Paru en 2018 aux États-Unis, où il a reçu le National Book Critics Circle Award for Poetry, Porter est désormais traduit en français.
Dès son premier poème, « Un nom », l'autrice souligne la nécessité des mots pour saisir la valeur des choses : elle imagine Ève donnant un nom aux animaux en espérant, au fond d'elle, qu'ils lui répondent en la nommant aussi. Dans ce livre, faune et flore sont doués de parole. À force de les avoir observés, Ada Limón leur a prêté sa plume. « Je n'ai toujours pas compris le but de la bobine de la vie. / Il s'agit moins de vivre que de planer aveuglément. » Ce que révèlent ces poèmes, qu'ils soient descriptifs ou plus réflexifs, c'est la puissance inspiratrice des éléments naturels face à la violence du monde animé par les hommes. La nature est décrite telle une ressource vers laquelle se tourner lorsque rien ne va, lorsque le chaos et le chahut de l'actualité laissent l'âme vide et sans espoir. Elle parle de la guerre et des bombardements, de la maladie d'un être proche, de la perte d'un ami accro à l'héroïne, et elle invite à panser les vertiges existentiels en se rapprochant de l'état contemplatif propre à celles et ceux qui prennent le temps de regarder le monde, conscients qu'ils en sont une partie. À propos des pins blancs, des séquoias, des chênes, des saules, elle écrit : « Leur force réside dans leur immobilité, c'est donc à nous de nous déplacer vers eux. »
C'est dans ce mouvement permanent entre, d'un côté, démoralisation, lassitude, abattement et, de l'autre, prise de distance, beauté, espérance, renaissance, que la force des poèmes d'Ada Limón réside. Son écriture pénètre si profondément et avec tant de justesse les objets et les situations qu'elle parvient, au fil du recueil, à transmettre, sans illusions, la laideur et la monstruosité des choses de la vie mais aussi la force et le plaisir de les surmonter.
Dans le poème « Oscillation », il est question des sentiments de colère et de désespoir. Ada Limón se décrit seule et mélancolique, comme un corps sur un pont au-dessus d'une voie de chemin de fer, lorsque surgit soudainement le bruit d'un train qui passe. Cette anecdote lui rappelle « combien cela aide / de changer pour être plus proche d'une masse d'air, de branches, et de faire de la place à cette chose rouge qui charge en nous, / comment ensuite nos feuilles tremblent puis se redressent, plus droites. »
Porter est aussi empreint de réflexions féministes sur la maternité et l'amour. Dans l'un des derniers poèmes, « Épouse », adressé à son amour, elle dénonce les injonctions liées à ce statut et se demande « quel est le mot pour désigner celle dont le regard est fixe toute la matinée durant, incapable même de préparer le thé certains jours, [...] celle qui ouvre un trou dans la terre et dont le chagrin est infini, celle qui veut t'aimer, mais qui souvent n'en est même pas capable, celle qui ne veut pas être diminuée par la force de son désir d'être à toi ».
Porter
Globe
Traduit de l'anglais par Sabine Huynh
Tirage: 1 000 ex
Prix: 21 € ; 208 p.
ISBN: 9782207186657
