Le Livre à Metz fait la part belle à la fiction et au réel, met en regard le livre et la presse, la littérature et le journalisme. Le temps d'un week-end, « il nous soustrait un instant de notre quotidien difficile et permet aussi la rencontre de l'autre sans feindre d'ignorer le réel », explicite Franck Duval, vice-président du Livre à Metz, lors de l'inauguration sous le chapiteau « Causerie ». Pour cette édition, c'est lui qui prend le micro, à la place d'Aline Brunwasser, présidente de l'association, qui elle, n'a pu feindre la réalité, affectée par le Covid-19. Tout comme l'écrivain Laurent Gaudé, invité d'honneur, qui devait ouvrir l'événement le soir-même.
Le réel, impossible de l'ignorer, dès les premiers discours. « C'est le premier anniversaire de la captivité du journaliste Olivier Dubois au Mali », rappelle d'abord Franck Duval. Il y a aussi l'Ukraine, à laquelle l'écrivain Cédric Gras et le grand reporter Éric Biegala consacreront un débat. L'état de guerre en Europe, la situation sanitaire incertaine, l'urgence climatique : François Grosdidier, maire de Metz a aussi de quoi nourrir son allocution. La détermination des organisateurs n'en est que plus forte. Notamment celle des acteurs culturels de la Ville de Metz « qui marchent ensemble, avec leur capacité d'adaptation, d'intervention et de résilience. »
La manifestation messine est avant tout l'occasion de faire se rencontrer deux formes d'écriture qui, dans un jeu de vases communicants, ont cherché à répondre cette année à la question « Même pas peur ? ». « On ignorait qu'une telle thématique allait être d'un tel à-propos aujourd'hui », explique Franck Duval. Si la peur est « une mauvaise conseillère qui pousse à craindre l'autre dans la cité », pour le maire de la Ville, « elle est aussi féconde et nécessaire », pour la journaliste et essayiste Ariane Chemin, invitée d'honneur du festival. Ce « Même pas peur ? » qui fait office de fil rouge est aussi un credo salutaire pour les enfants et les ados, « à qui il faut bien dire qu'on est là, qu'on va essayer d'être solides. Bien que je remarque parfois, que ce sont eux qui nous donnent des leçons », reconnaît la scénariste et dessinatrice Anne Simon.
Les jeunes apportent aussi leur contribution. « Nous nous sommes dit que nous allions faire quelque chose, quitte à y passer une ou deux nuits blanches », raconte la jeune lycéenne de l'établissement Julie-Daubié à Rombas (57). Dans l'église Saint-Pierre-aux-Nonnains de Metz, des élèves de Seconde et de Première présentent leurs projets vidéos et leurs points de vue sur l'écologie dans le cadre d'un festival de courts-métrages organisé par leur école (MEGAcourt). « J'ai été impressionnée quand ils m'ont présenté un film d'animation réalisé en quelques semaines, explique la journaliste Sonia Déchamps, qui a accompagné les élèves dans leur description d'un futur pour l'homo sapiens.
Regarder, accepter le passé pour mieux bâtir l'avenir
Où sont passés les fantômes de notre passé ? Fascisme, colonialisme, impérialisme, font l'objet d'une table ronde où trois écrivaines, Isabela Figuereiredo, Nedjma Kacimi et Francesca Melandri, racontent comment elles opnt dû faire la paix avec leur passé pour mieux le décrypter et le rendre intelligible à tous. Il y est question de la présence du Portugal au Mozambique, de l'Italie en Éthiopie ou de la France en Algérie et d'affronter cette histoire sans peur, mais avec un regard critique et une plume acerbe.
Penser en dehors du cadre
Plus loin, dans le salon Claude Lefebvre de l'Arsenal, Jocelyn Bonnerave, auteur et performeur, et Serge Latouche, économiste, penseur de la décroissance, remettent tout à plat. De la place du travail dans nos sociétés à nos imaginaires collectifs. Même pas peur de mettre un coup de pied dans la fourmilière des représentations collectives et d'accepter la toxico-dépendance du système au modèle consumériste, car « nous sommes bien obligés de passer un compromis avec le monde tel qui est, sinon on ne survit pas », raisonne l'économiste Serge Latouche.
Pointer du doigt les stratégies antidémocratiques
De leur côté, la journaliste Claude Guibal et les écrivains Jérôme Leroy et Frédéric Paulin nous plongent dans les coulisses du pouvoir et ses stratégies les plus insidieuses. Même pas peur de révéler l'interstice qui sépare les dictatures, trous noirs des droits de l'homme, des démocraties parlementaires défaillantes, et dans lequel s'ancre la peur comme outil du pouvoir. Des manifestations contre le G8 à Gênes et la mort de Carlo Giuliani, à l'Italie de Mussolini, en passant par la Russie de Poutine et les blindés de l'avenue des Champs-Élysées lors des manifestations des Gilets jaunes, les trois auteurs ont rappelé qu'un pouvoir autoritaire est avant tout un pouvoir effrayé. Ils ne sombrent pas pour autant dans la caricature : ici, leur propos est de décrire le réel. Les romanciers le feront passer dans leurs livres avec l'arme de la fiction.