Les lois de l'attraction. Christa Cristofersson refuse de faire le deuil de ce qu'elle est. Atteinte d'une maladie neurodégénérative qui, à terme, doit la priver de l'accès à ses émotions, cette ingénieure de la Silicon Valley décide de devenir son « propre projet de R&D ». Comment l'annoncer à ses proches, déjà éprouvés par cette « maladie de Damásio » ? Frida, la mère de Christa, l'a développée et végète dans un centre médicalisé. Milton, son père, se méfie des avancées technologiques, qu'il juge déshumanisantes. Cosmo et Sinclair, ses jumeaux adolescents, semblent vivre de l'autre côté de leurs écrans, insensibles aux témoignages d'amour de leur mère. Tancrede, son ex-mari, ne manque pas une occasion de lui reprocher l'éducation « approximative » qu'elle donne à leurs enfants. Et si son principal soutien était Jonas Jerkins ? Ce neurologue ami de longue date, amoureux éconduit, lui suggère d'avoir à ses côtés un compagnon capable d'entretenir son « qui-vive émotionnel », afin de retarder l'avancée de la maladie...

Une gageure pour Christa qui, depuis son divorce, se méfie des émotions. « Amitié, couple, autant d'escroquerie émotionnelle dont elle était revenue. » Surnommée « la reine des glaces » par son entourage, elle s'accommode sans peine de cette « étiquette de scientifique froide et carriériste ». « À son niveau de responsabilités, aucune femme ne pouvait se permettre de laisser filtrer ses sentiments réels : c'eût été un aveu de faiblesse la renvoyant à la "fragilité hormonale de son genre", comme disait aimablement son ex-mari. Au demeurant, les femmes à la tête d'entreprises de haute technologie se comptaient sur les doigts palmés d'une main d'alien. » Fan d'Isaac Asimov, Christa avait fabriqué, enfant, un ami robot avec un vieux réfrigérateur. Quand Milton l'avait conduit à la décharge, inquiet de l'influence de cet ami imaginaire sur sa fille, elle s'était mordue jusqu'au sang, au point d'en garder une cicatrice. Chez elle, l'instinct de survie prime, mais derrière ses yeux « d'un bleu-gris d'écran éteint » palpitent de nouveaux besoins et de nouvelles envies, provoqués par la maladie. « Les émotions engendraient la partie pénible de la condition humaine, celle qu'elle préférait oublier. Comment aurait-elle pu deviner qu'un jour, même la tristesse serait un trésor à préserver ? »

Qu'est-ce qu'une émotion ? Celle-ci se réduit-elle à n'être qu'un état, entre plaisir et douleur ? N'est-elle pas à la source de la conscience humaine ? Férue de sciences, Yannick Grannec remporte le pari de rendre ces questions passionnantes au sein d'un roman qui soulèvent de vertigineuses questions d'actualité. En prise avec nos défis contemporains - ceux notamment générés par l'intelligence artificielle -, Au-dedans permet de les aborder grâce à une expérience immersive dans le quotidien d'une femme ayant préféré épouser la science plutôt que l'un de ses congénères. S'il a tous les atours d'un récit d'anticipation, son ancrage sous la présidence de Donald Trump rappelle que le monde, parfois glaçant, qui émerge de ces pages est bel et bien déjà celui dans lequel nous vivons. Une expérience immersive à nulle autre semblable.