SLF

Avec Xavier Moni, élu le 24 septembre 2017, le Syndicat de la librairie française (SLF) se dote d’un président au style et au parcours sensiblement différents de ceux de son prédécesseur.

Face au bouillonnant Matthieu de Montchalin, enfant du sérail, patron de L’Armitière à Rouen, Xavier Moni affiche une personnalité posée, entrée dans la profession à 30 ans avec Comme un roman, la librairie parisienne qu’il a cofondée et cogère avec son ex-compagne, Karine Henry. Un métier auquel rien ne le prédestinait si ce n’est son goût pour les livres et la littérature développé dès l’enfance.

"Ma colonne vertébrale, c’est la lecture. J’ai commencé à lire à huit ans et je n’ai pas arrêté depuis", assure Xavier Moni, aujourd’hui âgé de 47 ans. Devenu un client assidu des librairies, il suit des études de lettres modernes à Paris, à la faculté de Censier, où il entame, pour son DEA, un mémoire qu’il ne finira pas sur "Jacques Prévert et sa participation au mouvement d’agit-prop des années 30". Appelé par l’armée, mais objecteur de conscience, il troque son service militaire pour un service civil consacré à la lutte contre l’illettrisme. S’ensuit "un passage par l’Education nationale" comme enseignant dans la Nièvre de 1996 à 2000.

"Provisoire", car son ambition est d’œuvrer dans le secteur du livre, l’étape se révèle décisive puisque c’est à Nevers que prend forme sa volonté de devenir libraire. "Je fréquentais beaucoup Le Cyprès, la librairie que Laurence Marès venait de créer, explique ce grand lecteur, féru de sciences humaines. En voyant ce qu’elle avait réussi à faire, je me suis dit que c’était possible pour moi aussi… mais à Paris, et en particulier dans le 3e arrondissement où se trouvent mes attaches."

 

Accro à la gestion

Son projet de librairie s’est toutefois construit à deux, avec Karine Henry, rencontrée durant ses études universitaires. "Et, précise Xavier Moni, avec le soutien de la profession et de l’interprofession, en particulier le CNL et l’Adelc qui nous a fait bénéficier d’une formation en alternance exemplaire avec un enseignement prodigué par une grande libraire, Claire Grimal [fondatrice des Sandales d’Empédocle à Besançon, NDLR], et un stage pratique de plusieurs mois à Paris dans le 14e chez Tropiques, alors dirigée par Valérie Alvim."

"Cette histoire est un conte de fées", se souvient Henri Causse, directeur commercial de Minuit et membre du conseil d’engagement de l’Adelc, qui salue le talent des deux libraires, "notamment dans leurs rapports sociaux établis avec l’extérieur", mais aussi leur chance. Implantée dans un quartier en pleine boboïsation, la librairie généraliste Comme un roman trouve vite ses marques et se développe. Née en 2001 dans un local de 60 m2 situé dans la petite rue Saintonge, peu passante, elle déménage dès 2007 sur 200 m2 dans la très commerçante rue de Bretagne. En 2016, "au terme d’une croissance naturelle ininterrompue", elle emploie 10 personnes, affiche 1,6 million d’euros de CA et figure au 145e rang de notre classement des librairies. "Notre succès repose certes sur la qualité de notre emplacement mais aussi sur une passion pour les textes qui ne s’est pas exercée au détriment des finances, analyse Xavier Moni. Tandis que Karine s’est occupée de l’organisation des animations, une dimension forte de notre projet, j’ai pris en charge la gestion. Et j’ai développé un réel intérêt pour cet aspect du métier."

C’est d’ailleurs par le biais des problématiques économiques qu’il s’engage comme élu au SLF à partir de 2009. "A un moment j’ai pris conscience que, seuls, nous étions arrivés au bout de ce que nous pouvions faire avec nos partenaires. Sur un plan économique, cela devenait compliqué, alors que sur un plan commercial tout allait bien. Là, je me suis dit que quelque chose clochait dans le métier." Son naturel réservé n’empêche pas le libraire d’être un militant. Il devient en 2011 président de la commission commerciale du SLF, convaincu qu’une amélioration passe par le collectif. Aujourd’hui encore, il dénonce "les grosses injustices de rémunérations dans la filière. Avec une marge de 33 %, un libraire ne peut pas vivre et pérenniser son activité."

 

Sécuriser le métier

Devenu en 2014 vice-président, Xavier Moni milite aussi pour la formation professionnelle. "Quand j’ai débuté, je ne mesurais pas l’importance de l’acte d’achat, avec ses enjeux à la fois économiques, commerciaux et intellectuels. En fait, libraire, c’est un métier d’acheteur avant d’être un métier de vendeur." Ayant dû lui-même faire baisser le taux de retours de sa librairie, pour l’amener aujourd’hui à 12 %, il a effectué, pour le SLF, quelques formations sur la maîtrise des flux. "Les retours sont un des nœuds de l’économie des librairies. Or une moyenne à 25 % n’est pas satisfaisante."

Porté par "les avancées réalisées depuis les Rencontres de Lyon en 2011 et par le changement d’état d’esprit de la profession, particulièrement perceptible aux Rencontres de La Rochelle cet été", le nouveau président du SLF se dit convaincu que "la librairie est aujourd’hui à un moment de son histoire où les énergies sont telles qu’on peut envisager de faire bouger les lignes pour sécuriser le métier. Ma mission sera de féconder cette énergie."

Un homme de dossier

Revendiquant pour le syndicat une dimension militante et politique, car la librairie est, selon lui, "un enjeu de société", Xavier Moni a déjà annoncé quatre chantiers prioritaires : la formation continue, l’économie de la filière, la communication sur les actions du SLF et sur la marque Librairies indépendantes, et l’ouverture du champ de réflexions aux évolutions sociétales qui impactent ou impacteront les métiers du livre. "Xavier nous emmène au même endroit que Matthieu mais différemment", observe Evelyne Levallois, administratrice du SLF et cogérante de L’Autre Monde à Avallon. "Ce sera une présidence plus calme", anticipe Frédérique Massot, au directoire du SLF depuis 2012 et à la tête de La Rose des vents à Dreux. Considéré dans l’interprofession comme "un homme droit", Xavier Moni a aussi la réputation d’être "un homme de dossier".

"Solitaire" mais engagé dans l’action collective, cet originaire de Seine-et-Marne est un Parisien de choix mais il revendique aussi "un besoin de nature et de silence, d’où des échappées régulières dans un trou en Corrèze, sur le plateau des Millevaches", le libraire qu’il est n’entend rien lâcher de son métier malgré ses nouvelles responsabilités. "Je me suis organisé afin de dégager du temps pour le collectif, mais je veux rester sur le terrain comme chef d’entreprise et surtout comme libraire, au rayon sciences humaines dont je m’occupe. Ma légitimité vient justement du fait que j’exerce moi-même le métier."

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