Parfois, nos lectures se télescopent étrangement. Je lisais, dans Le Point , un extraordinaire entretien avec Benoît Poelvoorde (l’animal est si écorché, mais avec une telle élégance, qu’il est toujours un bon client pour les interviewers qui prennent le temps) : on y apprend, ce dont on se doutait, qu’il lit beaucoup. En ce moment : l’essai de Catherine Millot (« Millot, pas Millet », précise avec humour Poelvoorde) sur les mystiques, La vie parfaite (Gallimard, « L’infini », 2006). Dans le courant du même entretien, Poelvoorde, qui s’abandonne à plusieurs confidences, se récrie à propos de l’une d’elles : « Ah, ça je parie que vous allez le mettre en gras ! ». Et d’ajouter : « On vit dans une société du caractère gras ». Superbe formule. Pas plus d’un quart d’heure plus tard, je lis dans Libération un article sur Julien Coupat. Vous savez, ce chef présumé de bande terroriste « anarcho-autonome », dont notre ministre de l’Intérieur avait claironné l’arrestation, comme s’il s’était agi d’une prise qui reléguait les organisateurs des attentats du 11 septembre au rang de terroristes pour bacs à sable. Depuis, les camarades de Coupat ont tous été discrètement libérés, faute de charges suffisantes. Mais Coupat reste en prison. Histoire, pour la ministre, de ne pas perdre la face. Et les policiers font passer des interrogatoires à Eric Hazan, l’éditeur supposément proche intellectuellement de ces dangereux individus. Bref, je passe. Dans cet article de Libé, on apprend que Coupat a toujours été un dévoreur de livres : « Il pouvait oublier de manger ou de dormir pour lire », raconte l’un de ses anciens camarades étudiants. On apprend également que, dans le dossier de l’instruction, un long procès-verbal s’épanche sur la bibliothèque de la communauté de Tarnac. Et là, je cite Libé : « ‘’Cinq mille ouvrages’’, écrit en gras le brigadier qui relate les perquisitions du 11 novembre ». Voilà. Tout est dit. Dans un monde où TF1 et d’autres vendent du temps de cervelle aux publicitaires, des gens qui ont cinq mille livres chez eux sont forcément louches (et que dire des librairies et des bibliothèques ! Faut-il les mettre sous surveillance ?). Le « gras » des cinq mille livres est stigmatisant. Poelvoorde a raison.