Avant-critique Roman

Vincent Almendros, "Sous la menace" (Les Éditions de Minuit)

Vincent Almendros - Photo © Mathieu ZAZZO

Vincent Almendros, "Sous la menace" (Les Éditions de Minuit)

Le narrateur du nouveau roman de Vincent Almendros traverse les affres de la puberté, qui se doublent d'une tragique prise de conscience.

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Par Sean Rose
Créé le 08.01.2024 à 09h00

La métamorphose. Les enfants n'aiment pas le changement. Même chose, au même endroit, avec les mêmes. C'est ainsi qu'ils aiment que le monde soit - éternel, stable, aimant. Le pire, ce serait de ne pas retrouver ses copains à l'école, ses cousins en été. Quentin, le narrateur de Sous la menace de Vincent Almendros, va chez ses grands-parents paternels, avec sa cousine du côté de sa mère. C'est sa mère qui les a emmenés. Cette année, il n'a plus envie de jouer avec la jeune Chloé. En vérité, il n'a plus envie de jouer du tout : c'était comme si s'était creusée entre eux cette différence d'âge que palliaient naguère l'humeur ludique et la vivacité de l'enfance. Chloé est encore en primaire, lui est au collège. Du reste, il vient d'en être exclu. Il a violemment agressé un camarade de classe. L'acné, les ingrates transformations physiques qui accompagnent cette transition de l'enfance à l'âge adulte l'ont transformé en « monstre », et pour le coup, c'est bien son visage que dans la glace Quentin ne retrouve plus. L'adolescent complexé essuyait les quolibets d'un certain Tolotra Ramanalarahona. Mais là c'en était trop, son sang ne fit qu'un tour : une rage incontrôlable le saisit lorsque le harceleur lui a balancé qu'il était tellement laid que c'était pour ça que son père avait foncé dans un arbre. Tout le monde dans l'établissement était au courant que le père de Quentin était mort mais on ignorait de quoi. Ce tragique accident de la route, Quentin n'en avait soufflé mot à personne. Or la meilleure amie de Chloé s'appelle Mamy Ramanalarahona − ce patronyme d'origine malgache, pas une coïncidence ?! −, et s'avère être la petite sœur de Tolotra. Chloé, qui savait pour l'accident, l'aura sans doute dit à sa copine qui l'aura à son tour répété à son frère. Et cette visite chez les grands-parents de Quentin d'être pour lui l'occasion d'en avoir le cœur net.

Comme dans ses précédents livres, Vincent Almendros réussit à tenir en haleine le lecteur par le fil d'une intrigue ténue. Au départ, il y a un sentiment refoulé - un léger doute, un désir latent, une crainte masquée, toutes ces petites taches d'ombre au tableau de la normalité, ces grains de sable dans la chaussure d'un quotidien bien rôdé... On n'y prête guère attention, ça s'accumule, ça coagule, et puis ça se délite en se répandant sur toute la surface des choses. L'ombre mange les couleurs de la vie.

Si la nouvelle fiction de Vincent Almendros est bien le récit d'un passage, celui de la puberté, impliquant la douloureuse sortie du cocon de l'enfance, cette métamorphose n'est au fond pas tant physique que psychique. L'auteur d'Un été (Minuit, 2015) est passé maître dans l'art du thriller psychologique sans tintamarre. La mécanique du drame est sournoise, elle n'en est pas moins efficace. La tragédie des affects n'a pas besoin du concours des dieux pour se révéler cruelle. On n'est ni chez les Atrides ni chez Lady Macbeth, avec Almendros, c'est Œdipe au petit pied, nul oracle prédisant la catastrophe. Et pourtant, le sol de nos existences est meuble, et notre pas jamais assuré.

Vincent Almendros
Sous la menace
Minuit
Tirage: NC
Prix: 17 € ; 144 p.
ISBN: 9782707349439

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