Il y a dans la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, et au-delà dans la tendance mondiale au durcissement autoritaire et au repli national, de la Chine et la Russie à la Turquie, la Hongrie, la Pologne, la Grande-Bretagne ou… la France, la rançon de dérives qui courent depuis des décennies. L’accroissement des inégalités, la réduction de la mobilité sociale, la destruction des emplois, l’abandon de populations et de territoires entiers privés de ressources, de services et de sécurité, la négligence du cadre de vie hors des centres des grandes métropoles et des banlieues huppées, l’aveuglement d’élus qui cumulent les mandats en oubliant leurs mandants tendent à saper les bases d’une démocratie de plus en plus identifiée aux méfaits qu’elle prétend combattre.
Cette dégradation intervient d’autant plus facilement que l’éducation et la culture sont - elles aussi - les sacrifiées des politiques publiques, quand elles ne sont pas directement dénigrées. Elles sont de plus en plus immergées dans un système médiatique dominé par les logiques de l’entertainment et celles, plus orwelliennes encore, de réseaux sociaux qui nous encouragent essentiellement à "aimer", "suivre" et "partager", vissés derrière nos écrans.
Il y a aussi dans la victoire de l’inculture une défaite du livre, qui résiste en son royaume mais peine à s’imposer là où il serait le plus nécessaire, sous toutes ses formes, du roman et de l’essai au livre de méditation ou de recettes de cuisine, pour stimuler l’intelligence, la curiosité, le rêve, l’esprit critique, encourager l’ouverture, l’échange et le projet. La montée des extrémismes et de l’intolérance survient alors qu’on ferme massivement les bibliothèques en Grande-Bretagne, que l’on interdit trente maisons d’édition en Turquie, où l’écrivaine Asli Erdogan est menacée de prison à vie pour délit d’opinion, que l’on pourchasse libraires et éditeurs à Hong Kong. Entre autres.
Résister, c’est tenter d’inverser la tendance. Dans le monde tel qu’il va, le livre et la lecture ne sont plus des évidences. Les défendre, les porter et les promouvoir en tout lieu et en toute circonstance, comme tentent de le faire tous ceux dont le métier est leur production et leur diffusion, devient une nécessité qui dépasse leurs intérêts propres.