"C’est un de ces étés de la fin de l’enfance et du début de l’adolescence, comme il n’en existe que dans le Sud-Ouest, suffocant et odorant. J’ai 12 ans, j’aborde une grande étape : les premiers livres hors de la "Bibliothèque rose" puis "verte", ou des romans des Deux Coqs d’or. J’adore la collection "Plein vent" de Robert Laffont.
Je commence Il était un capitaine de Bertrand Solet. En couverture, la dégradation du capitaine Dreyfus et le fac-similé du "J’accuse" de Zola. Et je lis, fiévreux et exalté, ce roman vrai. Je suis submergé par ces sentiments qu’on essaie de nommer sans jamais y arriver tout à fait, sinon par la naissance d’une conscience personnelle.
De quoi ce livre, relu tant de fois ensuite, m’a-t-il sauvé ? De l’ennui et peut-être de moi-même. S’encombrer de la vie des autres, combattre l’injustice, prendre partie. Il était un capitaine a ouvert un enfant à l’engagement. Grâce à lui, j’ai toujours 12 ans quand je sens l’odeur de la poudre."
"Quand on regarde sa bibliothèque, il y a peu de livres que l’on ouvre régulièrement. Si j’ai lu tous les ouvrages de Steinbeck, en français ou en anglais, celui-ci est différent et j’ai bien dû le lire cinq ou six fois. C’est un livre moins sérieux que l’ensemble de son œuvre, à lire après Rue de la Sardine. Tendre jeudi est exceptionnel car il exhale une tendresse et une gentillesse, un goût du désordre et de l’anarchie. Le héros vit isolé et les habitants de la rue vont tenter de le marier à la prostituée du coin. C’est mieux qu’un Prozac ! Du moins je suppose, car je n’ai jamais essayé le Prozac. Donc voilà ce que je prescris pour une bouffée de gaieté."
"C’est en écoutant Marc Voinchet interviewer le peintre Pierre Alechinsky que j’apprends la parution d’un nouveau livre sur son œuvre. Je découvre et redécouvre alors les encres et tableaux qui me fascinent depuis tout le temps. Cela nourrit mille voyages organiques en moi.
L’ouvrage renferme aussi une préface lumineuse et poétique d’Hélène Cixous titré "Le voyage de la racine". Ou l’histoire d’un rhizome brun et desséché - détonateur créatif et philosophique d’une œuvre puissante et magique. Souvent, lors d’instants teintés de "saudade" ou, a contrario, pris d’impulsions créatives, j’ouvre le livre.
Il me soigne et provoque à la fois mon imaginaire. Il m’apaise et me dévore. L’affamé qui est en moi cherche depuis un rhizome mystique qui déroulerait ma propre histoire."
"J’avais perdu ma mère et venais d’enfanter. J’avais soufflé mes 30 bougies et ne comprenais plus rien à mon âge. Toujours animée par une grande vitalité, dont je ne savais que faire, elle m’embarrassait pour devenir adulte, croyais-je.
Croquis étrusques est une ode à la "spontanéité", au "trop-plein de vie", à "l’enthousiasme" et à la "vitalité" des Etrusques alors que D. H. Lawrence parcourt l’Ombrie en témoignant en toile de fond d’une Italie qui sombre dans le fascisme.
Je me figurais alors l’âge adulte comme une sorte de répression à la vitalité.
On y lit des phrases bouleversantes de fraîcheur et d’émerveillement. J’ai lu cette fascination comme une autorisation à devenir femme en laissant s’exprimer l’ambivalence du jaillissement printanier. La violence tournée du côté de l’éclosion, du bourgeonnement de la beauté. D. H. Lawrence m’a dit alors que la morgue du monde, c’était la négation de cette vitalité. Mon corps est devenu beau et n’a plus eu peur d’être joyeux."
"Le livre thérapeutique par excellence, pour moi, c’est Une promesse de Sorj Chalandon. C’est l’histoire d’une promesse d’enfance faite par une bande de vieux copains. Chacun, tour à tour, se rend dans la maison de leurs amis disparus, Fauvette et Etienne, le bibliothécaire qui leur a donné le goût des livres, et tente de faire perdurer le souvenir et l’amour, de retarder encore un peu l’inéluctable disparition. C’est un livre qui parle de la perte et du manque, mais aussi de l’amitié, de l’amour, de la fidélité, des souvenirs, de ces valeurs qui sont le sel de la vie. En lisant Une promesse, on se sent vivant et fragile à la fois, on est imprégné par la beauté de ces âmes et on se prend à rêver d’être autant aimé. C’est beau comme un opéra de Puccini, de ceux qui vous tirent une larme que vous essuyez d’un revers de la main, gêné, en soupirant que, quand même, ça fait du bien parfois. Je le conseille souvent aux lecteurs en manque de lumière, empêtrés dans la déprime hivernale, ou celle du siècle, en leur disant que cette fois ils pleureront pour de bonnes raisons, et que cela leur fera un bien fou."
"Le livre qui m’a fait du bien, c’est Ferdydurke de Witold Gombrowicz. Je connaissais déjà l’auteur, je l’appréciais, mais j’ai découvert cet ouvrage pendant mon service militaire en 1992 et cela a été salvateur, car j’ai très mal vécu cette période. Il raconte l’histoire d’un adulte qui retourne à l’école et que tout le monde traite comme un enfant. Il se retrouve "cuculisé", pour reprendre le terme de Gombrowicz, abêti par un système avilissant, coercitif, brutal. Cette lecture m’a fait relativiser car elle se prêtait bien à mon expérience de l’armée, et m’a permis de faire un transfert de mon mal-être sur le livre."
"Dans L’enchanteur de Nabokov, un personnage explique qu’il fait partie de ces gens pour qui il suffit de penser à leur livre de chevet pour affronter le quotidien. Je crois que cette phrase a été écrite pour moi. Il n’y a guère de chagrin que je n’aie, sinon guéri, du moins adouci en pensant aux livres qui m’attendent le soir. Sans eux, je serais morte depuis longtemps ! Le plus récent : Serena de Ron Rash, parce que son éditrice m’avait parlé de cet auteur que je ne connaissais pas. Ce n’est pas un "feel-good book", c’est un livre très noir mais, dès la première page, c’est le choc, avec cette vibration unique que produit la découverte d’un écrivain qui rentre immédiatement dans votre panthéon intime. Cette découverte a électrisé mes journées."
"Adolescent, j’ai eu une période où j’étais complètement paumé. J’avais de grands idéaux, je rêvais d’action, d’engagement et en même temps je me sentais perpétuellement dans l’ombre (ou dans la lumière aveuglante) d’un père suractif et charismatique. Situation classique ! J’ai découvert Tom Sawyer de Mark Twain. Paradoxalement, ce n’est pas le personnage principal lui-même qui me fascinait, bien qu’il fût épris de liberté et pétri de courage. C’est son compagnon, Huck, marginal, solitaire, qui incarnait le mieux l’indépendance à laquelle j’aspirais, et le dépassement des contraintes de la sociabilité (déjà !).
C’est un bouquin qui m’a conforté dans l’idée qu’on pouvait prendre le risque de faire des compromis, de tordre ses idéaux, mais à la condition de rester sincère et généreux. Bref, dans un monde qui ne nous attend pas, il y avait place pour une prise de risques, pour un investissement personnel ou social, fût-ce hors des codes et des consensus. Une sorte de passeport pour l’action !"
"Enfant, j’adorais déjà les récits des grands explorateurs. En 1981, alors que j’étais un adolescent plutôt mélancolique et que je n’avais pas vraiment confiance en moi, on m’a offert Les conquérants de l’inutile de Lionel Terray dans la collection "1000 Soleils" chez Gallimard Jeunesse, un des chefs-d’œuvre de la littérature "de montagne". Je me souviens très bien de l’effet que sa lecture produisit sur moi. Je filais dans mon lit dès la fin du dîner. J’étais Terray, j’étais l’auteur de ces fantastiques exploits, notamment l’ascension de la face nord de l’Eiger, une des parois mythiques des Alpes longtemps restée invaincue. Ce livre m’a transformé. J’ai débuté ma vie professionnelle avec Pierre Marchand. Lors de notre première conversation, je lui parlais de Terray, de "1000 Soleils"", de joie de vivre, d’aventure… Ses yeux pétillaient."
"Pourquoi avoir choisi La plaisanterie ? Car je me souviens d’une scène particulièrement belle. Ludvik y lit quelques vers du poète tchèque Frantisek Halas à son amie Lucie, rencontrée lors d’une permission. Exclu du parti pour une "mauvaise blague" qui n’a fait rire que lui et l’a catalogué comme trotskiste, Ludvik est alors en train d’accomplir ses obligations militaires dans les mines de charbon d’Ostrava. Son amour pour Lucie brise son isolement, tout comme la lecture régulière des poèmes de Halas, victime lui aussi d’anathème politique. Il se retrouve dans leur mélancolie et éprouve à leur lecture une joie authentique, opposable à l’optimisme prescrit par le nouveau régime. Lucie est à son tour bouleversée par cette lecture et se met à pleurer. Milan Kundera ne dit pas pourquoi elle pleure ; il ne dit pas non plus que cette lecture est réparatrice. Il suggère simplement qu’elle fait désormais partie de l’existence de ces deux amants perdus dans l’Histoire ; et ce faisant, le romancier nous dit quelque chose de l’étrange portée de certains livres sur nos vies, celui-ci particulièrement."
"J’ai envie de citer un livre que j’ai lu récemment : La religion de Tim Willocks. Cela faisait très longtemps qu’un roman historique ne m’avait pas emporté aussi loin : à Malte en 1565, lors de la bataille entre les hospitaliers et les Ottomans venus pour prendre possession de l’île. 950 pages qui vous emportent instantanément dans l’Histoire à chaque fois que vous ouvrez le livre ; le genre de livre qui vous rend heureux quand vous vous réveillez en pleine nuit, car vous savez que vous allez pouvoir plonger dans cet univers de guerre, de chaos, d’amour et de bravoure sans être dérangé. L’auteur vous met littéralement "au cœur de l’action". Certainement très masculin, mais magique, car vous avez le sentiment d’avoir vécu un bout de cette époque en refermant, avec regret, cet engin à remonter le temps."
"Un livre de photos ? Oui, c’est pour moi la saveur renouvelée d’une récente journée parisienne avec mon plus jeune fils, à la découverte d’un photographe dont j’ignorais tout auparavant. Garry Winogrand a compulsivement photographié toute l’Amérique urbaine, avec une telle frénésie qu’il a laissé plus de pellicules non développées que de clichés exposés. Je ne saurais dire ce qui m’a le plus bouleversé dans ses multiples photos : plus que "l’instant décisif" cher à Cartier-Bresson, c’est peut-être la banalité de ces moments qui prennent vie à travers un morceau de pellicule… C’est aussi pour moi la saveur d’un échange singulier entre père et fils.
Lire et relire ce livre avec mon fils m’a amené à comprendre que l’émerveillement ne naît pas d’une situation exceptionnelle, mais de la qualité d’un regard, et de la capacité à capturer une étincelle ordinaire et pourtant magique… Cela fait-il du bien ? En tout cas, cela aide à vivre."
"Dépasser ses frontières, découvrir que l’aventure est possible, comprendre que le monde est à portée de main. J’ai lu Kessel adolescent, et j’ai compris que je pouvais rêver en dehors du département de l’Yonne. Il m’a autorisé à croire à la liberté et à l’audace. Ils sont de chair les héros des Cavaliers, avec leurs sentiments abrupts et du mythe qui anime et nourrit le livre. C’est grâce aux cavaliers de Kessel que je me suis autorisé à développer des idées, à m’engager et à créer."
"Ce petit livre aux grands effets, je l’ai découvert quand j’étais libraire, alors évidemment il a fait écho ! Monsieur Hanta pilonne des livres, seul dans sa cave, en buvant de la bière et en discutant avec les auteurs au rebut. Cynique, grinçant, subtil, ce texte est un cri d’amour désespéré, une véritable parabole sur la liberté et la modernité. Simple, profondément humain et terriblement efficace, je l’ai vendu en librairie, prêté en bibliothèque et offert à de nombreux amis. C’est aussi pour cela qu’il m’a fait du bien : au-delà du plaisir du texte et de l’énergie qu’il communique, les échanges à son sujet m’ont nourri. Loin de n’être qu’une activité solitaire, la lecture est également une formidable occasion de partage !"
"En octobre 2014, j’ai découvert un très beau texte : Jardins en temps de guerre de Teodor Ceric. Ecrit par un jeune poète bosniaque ayant quitté son pays lors de la guerre en Yougoslavie, le livre, conçu comme une déambulation dans divers jardins du monde, est une ode à tous ces endroits où l’on peut se ressourcer quand tout fout le camp. Avec les attentats de janvier, c’est un livre que j’ai eu envie de relire, car il va à l’encontre de la violence. C’est une bouffée d’air, un remède au désespoir. Je l’ai d’ailleurs récemment mis en avant à côté de différents ouvrages de réflexion."
"Y a-t-il plus bel appel à vivre, à vivre sans limites, que celui exprimé par Romain Gary dans La promesse de l’aube ? Citons juste cette phrase : "Le bonheur est accessible, il suffit simplement de trouver sa vocation profonde, et de se donner à ce qu’on aime avec un abandon total de soi." Mais ce livre est aussi certainement l’un des plus beaux portraits de mère et de femme qu’ait offert la littérature française. Un livre d’amour absolu, où tour à tour Gary émeut, surprend et amuse aussi. Son humour ravageur et désenchanté lui permet d’affronter ses douleurs et ses désillusions. Face aux difficultés de la vie, il choisit de cultiver en lui l’optimisme forcené que sa mère lui a transmis. C’est un livre qui fait du bien."
"C’est une question difficile : j’ai été bien sûr émue, bouleversée, par de nombreux livres et après chacun d’entre eux je n’étais plus tout à fait la même. Tels certains voyages, certaines rencontres, les livres savent modifier la perception des choses ou des autres, faire voir le monde sous un angle légèrement différent, faire vibrer d’une émotion oubliée. Mais il ne s’agit pas de cela, ici : il s’agit de trouver un livre qui m’aurait fait du bien. Bigre.
A la réflexion, je citerais un auteur, que j’ai découvert à 15 ans. Romain Gary.
J’ai oublié ses œuvres, mais comme pour le chat du Cheshire, qui disparaît complètement jusqu’à ce qu’il ne reste plus de lui que son sourire, il me reste en mémoire son regard d’une bienveillance amusée sur ce qui l’entourait. Et si je devais citer un livre parmi tous ses livres, je citerais L’angoisse du roi Salomon, écrit sous le pseudo d’Emile Ajar. A 15 ans, à un âge où le monde paraît rugueux et hostile, ce regard sans jugement porté sur la vie et ses épreuves m’a "fait du bien"."
"Les livres qui m’ont fait du bien ont toujours été non ceux qui me divertissent (car le plaisir se dissipe très vite) mais ceux qui parlent de liberté : liberté pour l’homme de choisir son destin, dans le chaos du monde, liberté de préférer toujours la joie à la douleur. Je pourrais citer des textes magnifiques et aussi différents que La princesse de Clèves ou - même si cela semble paradoxal - Kinderzimmer de Valentine Goby. Mais c’est finalement un livre d’artiste que je choisirai. Ce livre, réalisé par Tristan Tzara et Joan Miró, publié par Maeght juste au sortir de la guerre, en 1950, s’intitule Parler seul. Invité par le directeur d’un hôpital psychiatrique qui avait servi de refuge à des résistants, Tzara a composé durant son séjour un long poème, miroir des paroles des patients, qui se déploient dans des images bouleversantes. Miró y répond par de vibrantes lithographies, où alternent noir et couleurs primaires, en des formes simples, graphiques, dansantes, qui traduisent l’espoir, par-delà la solitude et la souffrance."
"Dans son dernier livre, Mourir de penser, Pascal Quignard fait l’éloge d’Apulée, l’auteur de L’âne d’or ou Les métamorphoses, qu’il considère comme "l’un des quatre chefs-d’œuvre universels dans le genre si obscène et si peu anthropomorphe du roman". Allons y voir de plus près : c’est l’un de ces classiques qu’on connaît de nom sans l’avoir jamais ouvert, reconnaissons-le ! Quel régal : c’est drôle, graveleux et licencieux à souhait, fabuleux (au sens de fable) et philosophique à la fois. Halte à la tyrannie de la nouveauté ! Rien de mieux pour se faire du bien que de se plonger dans un roman écrit au… IIe siècle ! Un régal pour l’esprit et les sens envoyé depuis l’Antiquité romaine pour nous faire oublier le retour de la morale et l’autocensure désormais (re)devenue la règle chez nombre d’écrivains."
"J’avais 22 ans, je préparais un travail universitaire, je vivais alors à Rome et je me suis enfermé pendant deux mois dans la bibliothèque du palais Farnese pour annoter un gros livre de philosophie au titre assez rebutant, Phénoménologie de la perception de Merleau-Ponty. Je travaillais au frais dans un endroit sublime et d’accès gratuit, et ce simple objet au coût modique m’occupait deux mois plein en me délivrant chaque jour d’incroyables doses d’intelligence. Je me suis dit, cet été-là, que même si je ne trouvais jamais de travail, l’amour des livres empêchait de rater sa vie. Et puis cet essai, dont le propos est d’effacer la distinction classique entre le sujet et l’objet, entre moi et le monde, m’a permis de mieux me connecter au réel, d’être plus présent, dans la "chair du monde", comme le dit l’auteur."
"J’étais couché et malade.
Nous venions de rater un prix littéraire, cela arrive assez souvent, mais cette fois-ci, particulière, m’avait mis hors du coup. Entre deux gémissements et trois plaintes, je commençais le roman Chaos calme de l’Italien Sandro Veronesi, que nous allions publier.
L’histoire de cet homme qui, à la suite d’un deuil brutal et absurde, mettait sa vie entre parenthèses, puis attendait tous les jours sans bouger que sa fille sorte de l’école, dans sa voiture, à rêvasser. Un chaos immobile. Un courant violent.
Cette histoire, si à contre-courant de nos vies hâtives, m’a guéri. Je ne lâchais plus le livre. Je voulais guérir vite et avoir le courage d’affronter une fin, pas la mienne, mais celle de l’intrigue.
D’ailleurs, sans les livres, c’est-à-dire sans cette sortie hors de soi-même, je ne pourrais pas vivre."
"Lorsque j’étais enfant, mon grand-père, qui était un grand bourgeois, m’a offert Ma montagne de Jean George, qui est un véritable hymne à la désobéissance. Cela m’a semblé très décalé et m’a ouvert de nouveaux horizons. Roman d’apprentissage, Ma montagne est le journal d’un jeune garçon américain, Sam Gribley, qui fugue et part s’installer dans la ferme de son arrière-grand-père dans les Appalaches. Mais il la trouve en ruine. C’est le retour à la vie sauvage. Ma montagne relate l’aventure d’un jeune citadin qui a voulu se replonger dans les conditions de la vie primitive. Cela donne un livre qui est une sorte de manuel de survie, où l’on voit un garçon affronter, saison après saison, les périls d’une existence de trappeur et progresser vers l’âge adulte, loin des transistors et de la télévision. Bien sûr il y a une part de fantasme : vivre de rien, en symbiose avec la nature. J’ai dû le lire une cinquantaine de fois. Quand je le conseille, les gens réagissent très différemment : il y a ceux qui adhèrent tout de suite et ceux qui se méfient."
" A 14 ans, la première page, je devrais dire les premières lignes de Du côté de chez Swann m’ont précipité irrémédiablement dans un nouveau pays sensible, bouleversant, musical, de couleurs fortes et subtiles : la "Littérature", dit-on, qui avait jusque-là à mes yeux un visage froid, institutionnel, traditionnel ; j’ai compris que derrière des noms de dictionnaire parlaient des voix qui pouvaient enchanter ma vie ; j’ajoute que ma mère (décédée depuis de très (trop) longues années) m’ayant littéralement mis, à l’improviste, ce livre en mains, ce voyage, depuis lors ininterrompu, en littérature est encore aujourd’hui l’occasion d’un dialogue muet avec elle, une conversation reconnaissante qui me "fait du bien" (pour dire le moins)."
"J’ai gardé de ce livre un souvenir très fort qui reste associé à un moment particulier pour moi. A l’époque, j’étais en poste en Alsace, loin de mes terres. Il faisait très froid et je me sentais assez seule. Ce livre, dans lequel on avance dans une jungle suffocante, une moiteur permanente, m’a permis de m’évader de manière extraordinaire. J’y ai trouvé beaucoup d’apaisement parce qu’il m’emmenait dans un univers en contraste total avec celui dans lequel je me trouvais, et en même temps sa mélancolie douce faisait écho à mon propre état d’esprit. Grâce à cette lecture, je garde finalement un bon souvenir de cet hiver passé en Alsace. Ce fut aussi une belle découverte de lecture car j’ai adoré par la suite tous les livres de cet auteur traduits en français."
"Fermina Márquez de Valery Larbaud est mon roman talisman. Mon père me l’avait offert lorsque j’étais adolescente, mais c’est un peu plus tard qu’il m’a aidée à comprendre à quel point les romans étaient essentiels à ma vie. A 19 ans, avec ce mélange d’outrecuidance et d’épuisement nerveux propre aux khâgneux, j’avais décrété la supériorité de la philosophie sur la littérature. La lecture était devenue une lutte, un piétinement, une bataille épuisante avec les concepts dans les méandres de la phénoménologie allemande. Le plaisir n’était plus que soulagement lorsque le sens, traqué, surgissait enfin. Un soir, j’ai ouvert Fermina Márquez comme on ouvre une fenêtre, pour chercher de l’air, et sa grâce m’a subjuguée. Je ne luttais plus contre les mots, ils avaient gagné."
"Antonio est l’homme du fleuve. Il est connu sous le nom de Bouche d’or. Sa bouche est hors de l’eau mais son corps est plongé dans le monde. Heureux homme qui sait entendre la source du langage dans le chant même du monde et qui sait y mêler sa voix avec aisance et sans désaccord. André Gide disait de l’écriture de Jean Giono qu’elle avait la "joie contagieuse". C’est bien le cas de ce grand roman, dont la lecture, et le souvenir qu’on en garde, donnent continûment le frisson. S’il devait être un remède, ce serait de façon préventive. Car cette célébration d’une commune mesure entre l’homme et la nature, redoublée ici par la révélation de l’amour, vaut, à mes yeux, pour chaque jour."
"Ce roman m’a laissé un souvenir étonnant. Je me rappelle précisément du moment où je l’ai lu, des paysages qui m’entouraient ces jours-là et des impressions qui imprégnaient mon esprit. J’ai plongé dans les pages de ce livre sans hésiter, sans me méfier et en suis sorti transformé, sans savoir pourquoi, sans arriver à l’expliquer. Comme si les mots de Nicole Krauss parlaient ma langue intérieure, enfouie au plus profond de moi. Comme si ses personnages se battaient avec mes regrets, mon chagrin, mon histoire. Etrange sensation que de vivre cette expérience de la consolation par les pages d’un roman. La lumière qui baignait l’horizon quand j’ai refermé La grande maison m’accompagne encore."
"De tous les livres qui m’ont fait du bien, L’âge de la parole de Roland Giguère est sans doute le plus marquant. J’en possède une édition originale (éditions de l’Hexagone, 1965) trouvée par hasard dans une librairie d’occasion alors que j’étais ado. Soulevant la couverture, on peut lire, écrit au crayon, de mon écriture juvénile : "Si vous trouvez ce livre, prière de m’en informer, il a pour moi une valeur sentimentale inestimable." Et pour cause : c’est dans ces pages que j’ai découvert et apprivoisé les mots de l’amour, de la rage et de l’espoir. C’est aussi en lisant ces pages que j’ai véritablement appris à écrire, à aimer écrire, à oser écrire. Y a-t-il plus grand bien à recevoir d’un livre ? Vingt-cinq ans plus tard, je reviens encore fréquemment à L’âge de la parole pour trouver réconfort, inspiration ou courage. Chaque fois que j’ai besoin de me faire du bien."
"Quand on referme La constellation du chien de Peter Heller, on voit la vie avec plus d’optimisme. J’ai lu ce livre lors de sa parution en 2013 et j’y ai découvert un très beau personnage masculin. C’est un livre lumineux, en dépit du contexte dans lequel se déroule l’action. En effet, on se situe neuf ans après une catastrophe chimique qui a décimé une bonne partie de la population mondiale. Dans des circonstances hostiles, Hig, plein d’humanité et de douceur, fait équipe avec Bangley, vieux cow-boy qui a la gâchette facile. Captivant comme un roman d’aventures et très agréable à lire, La constellation du chien est surtout l’histoire d’une reconstruction. Et cela fait du bien."
"Le livre qui me fait du bien ? Les romans. Parmi ceux-ci, je retiens particulièrement L’oiseau Xanadèche de Jim Dodge. Orphelin, Titou est recueilli par son grand-père, Pépé Jake, personnage solitaire et excentrique, porté sur le jeu et la bouteille, réfractaire à toutes les contraintes sociales. Malgré des divergences de caractère, le duo fonctionne bien, et mieux encore à partir du jour où déboule Canadèche, un canard boulimique et sympathique, qui devient leur inséparable compagnon. Dans ce livre, il est question de mort, de réincarnation… de sujets graves mais qui sont abordés de façon décalée. Trésor de malice et de tendresse, L’oiseau Canadèche est un délicieux conte qui réconcilie avec l’humanité. C’est un livre que je recommande sans modération comme le whiskey du vieux Jake."
"C’est évidemment Lord Jim de Conrad - j’ai appelé un de mes fils Jim à cause de ce livre, à la fois magnifique et désespérant, d’une humanité absolument déchirante. Je l’ai toujours près de moi, et il est totalement présent depuis que je l’ai découvert, vers 20 ou 25 ans. Quand vous rencontrez une œuvre de cette puissance, sa lecture est forcément un immense plaisir, elle vous enrichit, et je retrouve des émotions nouvelles à chaque relecture. L’histoire de cet homme admirable dont la vie est gâchée par un moment de lâcheté touche quelque chose de très profond en moi. Quel que soit ce qu’on peut faire, il n’y aucun moyen de revenir sur une erreur qu’on a commise, c’est une quête de soi bouleversante."
"Une éditrice allemande m’a fait découvrir en 2002 L’art de la joie de Goliarda Sapienza. C’est un roman d’apprentissage dans lequel le personnage raconte son enfance dans les montagnes de Sicile, puis traverse des situations très complexes. Je crois qu’il pourrait être proposé en développement personnel aussi bien qu’en littérature, car il nous apprend à être heureux. En fait, ce livre a changé ma façon de voir les femmes. D’ailleurs, c’est un peu grâce à cet ouvrage que j’ai rencontré mon épouse : elle l’avait lu, nous en avons parlé… Enfin, c’est un livre à savourer en ayant lu le reste de l’œuvre de l’auteur : un peu comme si vous aviez découvert une île magique, et que vous plongiez la main dans l’eau pour comprendre ce qu’il y a sous la surface."