Histoire/France 26 mars Krzysztof Pomian

Dans la Grèce antique, mouseion désigna d'abord le sanctuaire des Muses, d'où il tira son nom, donné également à une colline d'Athènes, près de l'Acropole. Ensuite, le mot s'appliqua à une école où se pratiquaient les arts. Puis les Ptolémées, pharaons grecs régnant sur l'Egypte à l'époque hellénistique, donnèrent ce nom à un lieu d'études à la fois scientifiques et littéraires, créé à Alexandrie. Ce n'est qu'au XVIe siècle, en Italie, que le mot en vint à désigner une institution telle qu'on la connaît aujourd'hui, même si sa destination et son usage étaient différents : privés, réservés à une élite, et simple collection d'objets précieux (notamment de l'Antiquité) sans vocation à être étudiés. Les historiens s'accordent à penser que, même si quelques rois lagides ou empereurs hans en furent les précurseurs, ce fut le Pape Sixte IV qui créa, en 1471, à Rome, le premier « musée » au sens moderne. En restituant au peuple romain un certain nombre de statues qui ornaient son palais du Latran, exposées désormais au « public » (restreint) au Palais des Conservateurs, sur la Place du Capitole, cœur de l'Urbs politique, comme la place Saint-Pierre est le cœur de la chrétienté. Ce premier musée était à la fois l'héritier d'une longue tradition, celle de la collection d'œuvres d'art par un grand de ce monde, encore proche du « cabinet de curiosités », et la préfiguration de ce qu'il est devenu : un lieu dédié à la sauvegarde des œuvres du passé, et à leur exposition. Avant, à Rome, les monuments antiques étaient soit remployés, soit détruits pour faire du plâtre.

C'est cette histoire, à la fois ancienne et récente, d'une vieille institution qui a connu au XXe siècle une fulgurante accélération (entre 1960 et 2010, le nombre de musées dans le monde est passé de 10 000 à environ 80 000), ainsi qu'une formidable diversification (musées locaux, thématiques, mémoriels, voire virtuels), à laquelle Krzysztof Pomian s'est attelé, depuis environ trente ans. Un chantier monumental, précédé de nombreux travaux universitaires, qui voit aujourd'hui le jour avec un premier volume, Du trésor au musée.

Une histoire globale parce que « l'histoire du musée doit être plus qu'une histoire des musées : celle des sociétés où le musée est devenu possible et des individus ou des groupes qui ont voulu et su en faire une réalité et le rendre indispensable », où se mêlent l'histoire, l'histoire de l'art, la politique, l'économie. Illustrée de surcroît, parce qu'une photographie est plus parlante qu'une longue description. André Malraux, l'inventeur du Musée imaginaire, aurait adoré cette entreprise, conçue, comme ses propres travaux, en une trilogie : le premier tome, après avoir posé l'histoire du concept, court de la Renaissance jusqu'à la Révolution française ; le deuxième, à paraître en avril 2021, couvrira, jusqu'au milieu du XIXe siècle, l'âge d'or des musées européens ; le troisième, prévu pour octobre 2021, racontera l'expansion muséale à travers le monde, jusqu'à l'explosion actuelle. Pour le meilleur ou pour le pire ? Si Toutankhamon revenait parmi nous, il ne comprendrait pas pourquoi ses trésors sont montrés à des hordes de touristes. Sixte IV, lui, s'en réjouirait peut-être.

Krzysztof Pomian
Le musée, une histoire mondiale. Vol. 1, Du trésor au musée
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 35 euros ; 704 p.
ISBN: 9782070742370

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