Délire familial. « Les gens ne se sentent jamais aussi vivants qu'après un enterrement. Si la rakija est forte, il n'est pas rare que les gens tombent dans le piège de méditer sur leur propre immortalité. » Tel est le sentiment d'une jeune fille habituellement plongée dans les séries policières pour échapper à l'ennui. Son petit ami est parti en Australie et à peine arrivé, il l'a oubliée. Ce qui ne risque pas d'arriver avec son envahissante famille. « Maman n'était pas experte en bâtiment, mais elle était championne pour faire des scandales et envenimer les relations entre les gens. » Aussi s'empresse-t-elle d'envoyer sa fille assister aux obsèques de sa tante Stana, qui s'est visiblement étouffée avec un os de poulet. Un décès absurde qui tonne le ton de ce premier roman de Sladjana Nina Perković. Originaire de Bosnie-Herzégovine, cette journaliste quadragénaire qui a obtenu une mention spéciale lors de la remise du Prix de littérature de l'Union européenne manie l'ironie dès les premières pages. « Comment ai-je fait pour finir là où j'ai fini ? C'est très simple », explique sa protagoniste.« Je courais. Le chemin était boueux, raide et défoncé. J'ai trébuché contre une pierre. Une chute spectaculaire. » Le roman repart en arrière, en revenant sur l'enterrement de la tante, où la narratrice se rend avec son cousin Stojan, « manifestement dans un état de délire avancé », au volant de sa Golf détraquée. « Tout va bien se passer, me répétais-je intérieurement, même si je pressentais que rien, mais alors rien n'allait se passer comme je l'avais imaginé. » Bien vu ! Comment décrire cette famille aux personnalités si folkloriques ? On se croirait chez les Sopranos ou la famille Addams, version slave drolatique. « La seule chose dont l'homme doit avoir peur, c'est des hommes. Un chien ne mordra jamais sans raison. Alors qu'un homme oui. » Tout le monde ne réagit pas de la même manière à la mort, ainsi le mari de la défunte est retrouvé pendu dans les toilettes. S'ensuivent des mésaventures loufoques. Rien n'est prévisible dans ce pays qu'on a essayé de reconstruire de toutes pièces. « Cette paix dans laquelle nous vivions n'apportait même pas le "p" de possibilité. Tout ressemblait plutôt à un trajet infini dans un autocar de merde sur des routes défoncées. » En Bosnie-Herzégovine, on manque de tout, sauf d'humour.
Dans le fossé
Zulma
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 22 € ; 272 p.
ISBN: 9791038702547