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Salman Rushdie, "Langages de vérité. Essais 2003-2020" (Actes Sud) : Père Courage

Salman Rushdie - Photo © Syrie Moskowitz

Salman Rushdie, "Langages de vérité. Essais 2003-2020" (Actes Sud) : Père Courage

Une deuxième collection d'essais de Salman Rushdie, auxquels les récents événements donnent un surplus de sens.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 31.10.2022 à 09h00

Après Franchissez la ligne... (Plon, 2003), recueil qui rassemblait un certain nombre d'essais, préfaces, articles et discours de Salman Rushdie courant de 1992 à 2002, l'écrivain nous en livre une deuxième collection, de 2003 à 2020, sous le titre Langages de vérité. Quarante-deux textes, toujours aussi divers, dont nombre d'articles publiés dans la presse anglo-saxonne (New York Times, Vanity Fair, Vogue...), et même un dans la presse française : « Vérité » est paru le 23 mai 2018 dans Charlie Hebdo, sous le titre « La littérature et les fake news ». Un double symbole : celui de son attachement à la France à qui le lie une relation particulière depuis la parution des Enfants de minuit, en 1983 (Stock), et un signe fort de solidarité avec le journal martyr du fanatisme islamiste.

Évidemment, même si la sortie de Langages de vérité, dont les textes ont tous été revus par Rushdie, avec pas mal d'ajouts de post-scriptum actualisant le propos, était prévue de longue date chez son éditeur Actes Sud, on ne peut s'empêcher de lire ce volume à la lumière crue des récents événements : le 12 août dernier, à New York, un terroriste l'a poignardé, obéissant, plus de trente ans après sa prononciation, à la fatwa de l'ayatollah Khomeini. Le fanatisme ne renonce jamais. Rushdie est heureusement tiré d'affaire et, on le suppose, à nouveau reclus quelque part.

Tout cela juste pour avoir exercé sa liberté de penser et d'expression, lui qui se définit comme « un gamin aux racines indo-musulmanes et passablement athée », dans un très joli texte intitulé « Le Noël d'un incroyant ». Il y raconte comment, dans son enfance à Bombay, où il vivait au sein de sa bourgeoise famille musulmane éclairée, faisant ses études dans une école catholique avant de partir pour un pensionnat anglais non moins chrétien, on ne fêtait pas Noël. Habitude qu'il avait conservée, jusqu'à ce qu'il ait lui-même des enfants. Noël n'est pas qu'une fête religieuse, ce peut être un symbole universel de paix et de fraternité. C'est ainsi que Rushdie le pratique, et avec son humour coutumier.

Parmi les autres textes, outre nombre consacrés à ses écrivains favoris, d'Héraclite à Pinter en passant par García Márquez, que Rushdie, conteur baroque, a connu et dont il se sent proche du « réalisme magique », on retiendra un article sur Oussama Ben Laden, à l'occasion de sa mort en 2011. Rushdie y dénonce le « double jeu » du Pakistan dans cette affaire, et la complicité objective du pays avec les terroristes d'Al-Qaida. Ou encore une étude formidable, nourrie d'une enquête et de témoignages recueillis sur le vif, sur la communauté des hijras en Inde − à peu près un million dans tout le pays, ces « hommes-femmes » à l'image du dieu Ardhanarishvara, sont à la fois parias et respectés, voire craints, et vivent dans un système ultra-hiérarchisé, en même temps carcan et protection. C'est peu connu, passionnant, et rappelle, comme le fait Salman Rushdie lui-même à de nombreuses reprises que, s'il a pris les nationalités anglaise puis américaine pour des raisons indépendantes de sa volonté, il demeure un Indien, né à Bombay en 1947, et très attentif à ce qui se passe dans son pays. Il peut être aussi considéré comme le père du roman indien contemporain.

Salman Rushdie
Langages de vérité. Essais 2003-2020 Traduit de l’anglais par Gérard Meudal
Actes Sud
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 25 € ; 400 p.
ISBN: 9782330172589

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