Traduire l'indicible. Ce texte est un long poème adressé à la fille de l'autrice, Suzon, décédée dans l'attentat du Bataclan le 13 novembre 2015. « Je suis sans substance / une âme enivrée / qui surfe d'un monde à l'autre / des morts aux vivants. » Sabine Garrigues décrit la détresse de la perte. Ce n'est ni la haine ni la rage qui l'ont d'abord envahie à la suite de cette disparition, mais plutôt le vide, l'anesthésie. L'autrice se souvient de la dernière fois qu'elle a vu sa fille, au métro Charonne, et fait le lien avec l'histoire de son père né en Algérie et contraint de la quitter en 1961. Les assaillants du Bataclan eux aussi étaient d'origine algérienne. « Non / ces hommes ne sont pas l'Algérie / et moi je suis aussi algérienne / mes cauchemars le disent / cette violence sourde / le peuple algérien / le peuple français / tous les peuples veulent danser aller à des concerts de rock. » Rien n'est su revient aussi sur les heures qui ont précédé l'annonce de la mort de cette enfant qui avait alors 20 ans, des heures faites d'attente, de silences et d'informations contradictoires insoutenables. « Nous n'avons aucune personne du nom de votre fille », lui répondent les différents interlocuteurs de la mairie, de l'hôpital, ou encore sur place... jusqu'à ce que la nouvelle tombe : « nous avons retrouvé votre fille / [...] désolé madame, l'information est maintenant vérifiée. » Ce texte poignant traduit l'impossibilité de formuler le traumatisme pendant plusieurs années et la nécessaire résistance à développer pour tenir le coup, faire ressurgir les pulsions de vie.