En cette belle journée aux allures de printemps précoce, ils sont tout un groupe, des stickers bleus "Speak Up for Libraries" collés au revers de la veste, à patienter dans la longue file d'accès au Parlement de Londres. Leur objectif : rencontrer les membres du Parlement dont dépend leur commune et plaider la cause des bibliothèques. Professionnels ou militants de l'un des nombreux groupes d'usagers qui ont fleuri, ces dernières années, dans les villes et les comtés où l'on réduit ou supprime les réseaux de lecture publique, ils ont répondu à l'appel de la coalition de six organismes (1) qui avaient décidé, pour la première fois, d'unir leurs forces afin d'organiser le 13 mars ce grand rassemblement.
Plus tôt dans la matinée, les principaux leaders du mouvement, bibliothécaires, militants, écrivains, comme l'auteur pour la jeunesse Alan Gibbons, ou encore les représentants de l'opposition, comme Dan Jarvis, membre du Parlement chargé des questions culturelles au Parti travailliste, se sont succédé à la tribune de la salle où se déroulait le rassemblement pour délivrer des discours, souvent vindicatifs.
Une longue attente au Parlement
En fin de journée, les militants, qui ont attendu de longues heures au Parlement, sont assez déçus. Peu d'entre eux ont réussi à rencontrer leur élu. Mais une pétition signée par 70 000 personnes a été déposée. Elle liste les points sur lesquels la coalition souhaite voir le gouvernement s'engager, en particulier le renforcement de la loi qui oblige les collectivités locales à fournir un service de bibliothèque "complet et efficace" et l'élaboration d'un plan national à long terme.
Cette journée représente un pas de plus dans le combat que mènent depuis plusieurs années professionnels et usagers. Les bibliothèques, déjà malmenées dans certaines collectivités locales, ont vu en effet leur situation se dégrader encore plus depuis la parution en octobre 2010 du "Comprehensive Spending Review", le rapport dans lequel le gouvernement britannique fixait pour quatre ans la répartition, poste par poste, des dépenses publiques et annonçait la réduction des crédits attribués aux collectivités locales (désormais limités à 8,9 % de leur budget). Devant les réductions massives de service, les usagers se sont organisés et, fait jusqu'alors inédit dans le domaine de la lecture publique, certains ont entamé des procès à leurs élus.
De tous les procès, celui mené par les usagers de Brent, très suivi outre-Manche, est particulièrement emblématique. En 2010, cette commune de 250 000 habitants, dans le nord-ouest de Londres, planifie la fermeture de 6 de ses 12 bibliothèques. Les habitants en colère organisent la riposte. Après plus d'un an de lutte acharnée, et trois recours en justice, le verdict tombe en février dernier : la Cour suprême confirme les précédents jugements qui donnaient raison à la municipalité. Sur le bâtiment en brique rouge de la Kensal Rise Library, l'une des annexes de Brent touchées par la restructuration, flotte encore tristement une banderole portant l'inscription "Sauvez la bibliothèque". Mais les portes se sont fermées définitivement en octobre 2011, comme pour les cinq autres établissements concernés. La municipalité justifie sa décision par la faible fréquentation des établissements visés et affirme que son plan de remaniement améliore le service de lecture publique. Comme elle l'avait promis, les six établissements restants ont élargi leurs horaires d'ouverture (65 heures par semaine, du lundi au dimanche). Elle possède un autre argument de poids : le grand équipement qui devrait ouvrir au printemps 2014 dans le sud de la commune (près du célèbre stade de Wembley) offrira un centre culturel et une "super" médiathèque de conception moderne.
« Service à distance »
L'argumentation agace les usagers. "Notre bibliothèque a été laissée en déshérence pendant des années, avec un budget médiocre qui ne permettait pas de maintenir des collections de qualité. Pas étonnant, dans ces conditions, que la fréquentation ait chuté, s'indigne Saleem Yousaf, un militant que nous rencontrons devant la Kensal Rise Library. La future médiathèque sera à 30 minutes de marche de notre quartier. C'est beaucoup trop loin, en particulier pour les personnes âgées et les enfants. Au lieu d'être un service de proximité, la bibliothèque va devenir un service à distance !" ironise notre interlocuteur. Saleem fait partie des militants qui tiennent la permanence de la bibliothèque de rue installée symboliquement juste à côté de l'ancienne Kensal Rise Library, "pour rappeler que ce lieu est toujours dédié à la lecture publique".
Mais il reste peu d'espoir qu'une "vraie" bibliothèque ouvre à nouveau ses portes ici. Le 11 avril, le All Soul College d'Oxford, propriétaire des lieux, a déclaré qu'il avait mis ces locaux à la disposition de la municipalité dans le but de fournir une bibliothèque aux habitants et que, dans la mesure où cette utilisation avait cessé, il allait reprendre son bien.
(1) Le Cilip, la plus importante fédération britannique de professionnels des métiers de l'information, Unison, principal syndicat de la fonction publique, The Library Campaign et Voices for the Library, des associations d'usagers, Campaign for the Book, un organisme de promotion de la lecture, et The National Federation of Women's Institutes, la plus grande association de femmes au Royaume-Uni.