Avant-critique Fantastique

Richard Lange, "Les vagabonds" (Rivages)

Richard Lange - Photo © Chris Pellegrino

Richard Lange, "Les vagabonds" (Rivages)

Deux frères vampires taillent la route, pourchassés par une bande de bikers démoniaques : ce road trip dans l'Amérique des seventies hippies imaginé par Richard Lange est d'une originalité et d'un aplomb réjouissants.

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Par Cédric Fabre
Créé le 13.01.2024 à 11h00

Zombie Rider. C'est le très emblématique thème de la route, épicentre − si l'on peut dire − du grand fantasme littéraire et cinématographique américain, que revisite ce roman tragique aussi beau que terrifiant. Celui-ci évoque avant tout les illusions perdues, celles de Jesse, un homme devenu vampire, brisé par un drame sentimental, qui a presque 100 ans et qui est condamné à l'errance dans les bas-fonds de l'Arizona. Se nourrissant parfois de sang humain, en général celui de prostitués ou de saisonniers mexicains, il erre de motel en motel avec son jeune frère Edgar, un colosse un peu demeuré. En cet été 1976, ils croisent un gang de bikers assoiffés de violence, qu'ils devront fuir en compagnie d'une jeune serveuse, Johona, qui s'attache irrésistiblement à eux. D'autres vagabonds hantent les nuits des petits bleds du sud-ouest du pays, traînant avec les déclassés et autres laissés-pour-compte du système. Suivant sa propre piste, qui croisera celle de nos personnages esseulés et attachants, un Afro-Américain du nom de Charles Sanders a laissé sa femme pour sillonner également les routes, à la recherche du meurtrier de son fils Benny. Ce dernier, qui était devenu toxicomane et prostitué, a été retrouvé dans une poubelle, vidé de son sang. Dans son journal, Sanders note : « Au cours des dernières vingt-quatre heures, la croûte de la civilisation a été arrachée et le pus qui suppure dessous m'a été révélé. J'ai appris qu'il existe des monstres qui se font passer pour des hommes [...]. » Il enquête auprès de parents d'autres victimes de meurtres, jusqu'à ce qu'il rencontre un étrange vieillard qui l'initie à la chasse aux vagabonds : il les tue en les décapitant ou en leur plantant un pieu dans le cœur. Pour ces traques, le vieux utilise le flair d'un adolescent, Sally, lui-même transformé en vampire, et qu'il retient captif. Bientôt, Sally va mettre Sanders sur la piste d'un mystérieux « roi des vagabonds »...

De son côté, Jesse fait un rêve récurrent qui pourrait être un signe : il marche sur une route en plein jour sous le soleil. Edgar, quant à lui, ne rêve que d'aller à Hollywood. Les deux frères suivent surtout la voie d'une sagesse et d'une éthique désarmantes tant elles paraissent incongrues dans un tel contexte. La candeur enfantine d'Edgar, tout comme ses bourdes répétitives, qui parfois mettent les deux hommes en danger, les ramènent à une condition humaine qui ne constitue hélas pas, dans leur situation, un gage de survie. On songe bien entendu au classique de John Steinbeck, Des souris et des hommes, et l'on se laisse happer par la très singulière idylle naissante entre Jesse et Johona. Quelque part entre la série The Walking Dead et les romans de vampires de Poppy Z. Brite, Les vagabonds est une allégorie somptueuse et gothique, qui marque aussi la fin du grand rêve hippie du flower power et annonce déjà, alors que le punk rock naissant va dégager les derniers rêveurs, le no future de la bannière étoilée.

Richard Lange
Les vagabonds
Rivages
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 22,50 € ; 336 p.
ISBN: 9782743661717

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