Paris, pont de Solférino, 23 juillet 1944, 15 heures. Maier Kunst regarde la Seine s'écouler. Madeleine Riffaud surgit et tire deux balles dans la tête du sous-officier allemand. Rattrapée alors qu'elle s'enfuit à vélo, elle est condamnée à mort. Elle a 19 ans et cet acte a marqué sa vie. Il l'a fait entrer dans la catégorie des héroïnes, subir les pires tortures de la part de la Gestapo et des policiers français, sceller son engagement à l'idée de résistance qui va la conduire après la guerre en Indochine puis en Algérie. En quelques secondes le destin de cette jeune fille pas rangée, bascule de façon irrémédiable.

« Contre l'occupation nazie et le colonialisme, contre l'injustice et la maladie, elle a participé aux élans de l'histoire pour mieux juguler sa propre violence. » Isabelle Mons a saisi le tempérament de cette femme hors norme, poétesse qui avait choisi comme pseudonyme « Rainer » dans la clandestinité en hommage à Rilke. Aujourd'hui âgée de 95 ans, aveugle mais voyant toujours clair dans son parcours, elle lui a ouvert ses archives et s'est confiée à l'auteure des Femmes de l'âme (Payot, 2015). Catholique et communiste, Madeleine Riffaud fut grand reporter pour L'Humanité où elle connut d'autres enfers.

Sa vision du monde fut aussi façonnée par la fréquentation des poètes de la Résistance, Eluard, Aragon, Char, Vercors, et de Picasso dont elle devint l'amie et qui lui tira le portrait. L'essentiel de cette vie intense demeure figé dans la gangue des années noires. On se demande comment elle a pu survivre aux sévices qui lui ont été infligés sans que jamais elle ne livre un mot. Cette force irrigue tout le livre et permet de comprendre la suite, le mariage raté avec Pierre Daix puis l'engagement contre les guerres coloniales en Indochine, en Algérie et au Vietnam. A ces combats s'ajoute celui contre la tuberculose. « Résister, maître-mot d'une vie, celle d'un être qui a avancé guidé par ses envies, par le sentiment d'être à sa place là où le combat devait être livré. » Le PCF finira par se séparer de cette femme trop libre, restée fidèle à ses engagements de jeunesse.