DYSLEXIE

Remettre la lecture à l'endroit

OLIVIER DION

Remettre la lecture à l'endroit

En France, orthophonistes, enseignants, associations et parents d'enfants en difficulté d'apprentissage de la lecture dénoncent une pénurie de littérature pour la jeunesse susceptibles de les aider. Quelques éditeurs ont lancé des collections spécifiques. En quoi ces livres sont-ils adaptés à ce handicap dans le fond et dans la forme ?

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Par Julie Rocha-Soares
avec Créé le 10.12.2014 à 18h36

Daniel Pennac, Gustave Flaubert, Agatha Christie, Edgar Poe, Ernest Hemingway et Jules Verne ont un point commun : la dyslexie. Ce trouble d'apprentissage du langage écrit empêche les enfants de reconnaître les sons qui composent les mots, et donc de lire. Un handicap identifié et pris en charge médicalement, mais que les éditeurs "traditionnels" de livres pour la jeunesse prennent rarement en compte. Selon les professionnels, la France accuse un retard de "quinze à trente ans", en recherche, formation et littérature, pour aider les dyslexiques, par rapport aux pays anglophones, au Canada, aux Pays-Bas ou encore à la Belgique. Ainsi, l'association Lire et écrire Luxembourg vient de créer avec la maison belge Weyrich éditions "La traversée", une collection "pour adultes et grands adolescents apprenants", >explique Amandine Legrand, responsable de ce projet dont les premiers titres sont parus début mars et qui comprendra au total 18 titres publiés sur trois ans. Les romans sont écrits par des auteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur la base de rencontres avec d'anciens analphabètes et d'un guide méthodologique constitué au fur et à mesure. Mais en France, le plus souvent, ce sont des enseignants, des professionnels de santé et des parents qui se transforment en éditeurs pour aider les enfants et leur donner envie de lire.

Une collection chez plusieurs éditeurs

Montée en 2003 par Katia Wolek, l'association Histoires à partager a lancé la collection "Les mots à l'endroit" en s'associant à Danger public. La maison d'édition, reprise depuis par La Martinière, avait alors géré les aspects de fabrication et de promotion. Le premier album, L'enfant et l'oiseau, écrit par Katia Wolek et illustré par Anne Sorin, est paru en 2006. L'association poursuit sa mission avec d'autres professionnels. Le conseil général de Loire-Atlantique lui a accordé les 5 000 euros de l'appel à projet "Une idée pour + de solidarité" pour autoéditer en 2010 Le secret du chat de Katia Wolek avec Julien Maos au dessin. Ortho éditions, fondé par la Fédération nationale des orthophonistes, a pris en charge Yvain, le chevalier au lion, roman médiéval pour adolescents adapté par Marie-Dominique Bernard avec des illustrations de Seb, paru fin 2011. Au total, Histoires à partager a publié une demi-douzaine d'ouvrages : des contes traditionnels classiques remaniés comme Aladin et Le Chat botté, mais aussi des créations comme L'enfant qui n'aimait pas les livres de Martin Winckler, illustré par Stéphane Sénégas, ou encore deux livrets pédagogiques pour collégiens dyslexiques. L'aventure devrait continuer en 2012 avec de petites maisons d'édition liées au handicap.

Sous l'impulsion de deux professeures des écoles en lien avec une orthophoniste, la maison Auzou a créé en 2008 "Délie mes mots", collection désormais labellisée Scérén par l'Education nationale. Porté par Audrey Jacqmin et Marie-Nuage Giudicelli, le projet voit le jour avec un premier album, Victor et les amulettes, illustré par Sophie Lebot. "Nous avons écrit les contes en inventant deux personnages : Victor, dans des situations du quotidien pour les niveaux CP, et Malo, dans des histoires liées à l'imaginaire pour les CM1-CM2 , détaille Marie-Nuage Giudicelli, en poste à Boulogne, puis Dominique Chauvin a testé les contes sur ses patients pour effectuer des améliorations." Tiré à 5 000 exemplaires, le cinquième album de la collection, Victor et la petite souris, illustré par Martina Peluso, est attendu impatiemment à la rentrée de septembre à en croire les retours très positifs des parents d'enfants en difficulté sur le site d'Auzou, comme cette maman qui écrit : "Je n'ai jamais vu mon fils dyslexique lire avec autant de confiance, il est fier de lui. [...] Encore, SVP !!!!!"

Marché de niche

>Les acteurs à dominante sociale de ce marché de niche ont constaté la pénurie de littérature spécifique et notent que leurs albums sont adaptés à tous les débutants en lecture, avec ou sans trouble. Ce qui change des albums classiques ? Le fond et la forme. "Nous avons mis en place des critères de lisibilité pour la mise en page, la typographie ou le paratexte", explique l'orthophoniste Muriel Romans, présidente d'Histoires à partager. Les pages de garde présentent un visuel pour chaque personnage et un sommaire à cocher pour indiquer la progression du livre et aider l'enfant à se repérer. Les améliorations subtiles du fond, proposées par les orthophonistes aux auteurs, améliorent le confort de lecture. L'intrigue est chronologique, écrite dans des formes verbales usuelles (présent de l'indicatif ou passé composé). Les phrases longues et complexes sont évitées. Les synonymes contournent les mots difficiles. Les pronoms sont bannis, ce qui implique la répétition des prénoms. "Nous ne sommes pas dans la recherche du style", reconnaît Marie-Nuage Giudicelli. Pour autant, elle se défend avec ses confrères d'écrire des contes simples sans intrigue.

La collection "Au coeur de l'aventure", le projet de l'orthophoniste Catherine Darré-Guimbal à La Fée des mots, propose de personnaliser des classiques de littérature jeunesse avec le nom et le prénom de l'enfant, qui devient alors héros-lecteur. Depuis 2002, plus de 20 000 ouvrages ont été commandés comme Le livre de la jungle et Vingt mille lieues sous les mers. "Tous ces outils prennent en considération l'ensemble des pathologies - difficultés visio-attentionnelles, linguistiques, phonémiques et auditives - et facilitent la lecture. Les difficultés du déchiffrage sont une perte de temps, d'énergie, d'attention et donc de plaisir", résume Muriel Romans.

Livre-doudou

Pour compléter cette offre balbutiante, Claude Denariaz, présidente de l'Association nationale des associations d'adultes et parents d'enfants dyslexiques, se tourne vers les livres audio ou à gros caractères : "On travaille avec des associations de malentendants et de malvoyants pour en obtenir. Par ailleurs, nous militons pour l'accès au livre numérique, surtout dans le milieu scolaire, car on peut changer la police et sa taille, choisir la couleur de fond..."

D'autres actions familiarisent l'enfant dès la naissance à l'objet livre pour titiller sa curiosité. Ainsi, l'opération alsacienne "Un bébé, un livre", qui offre un livre-doudou aux nouveaux-nés de chaque maternité, initiée en 2006 lors de la Journée européenne de prévention des troubles du langage chez l'enfant, est devenue nationale grâce à l'action de l'orthophoniste Magali Dussourd-Deparis, également présidente du syndicat régional des orthophonistes d'Alsace et très engagée dans les politiques de prévention de l'illettrisme.

Malgré ces efforts, la littérature adaptée se vend de manière marginale dans les deux librairies françaises spécialisées en orthophonie. Chez Mot-à-mot, à Paris (12e), qui est aussi une maison d'édition pour professionnels, comme à La Ronde des mots, à Lille, le guide 100 idées pour venir en aide aux élèves dyslexiques de l'éditeur pédagogique Tom-Pousse (diffusion CED) "cartonne". Une troisième édition, traduite de la version canadienne, est prévue cet été avec des annexes supplémentaires sur la France.

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