Génération désenchantée. Auteurs phares du label 619, collection créée par Run (Mutafukaz) et intégrée à Rue de Sèvres, Mathieu Bablet et Guillaume Singelin ont tous deux exploré avec brio la science-fiction. Le premier avec Shangri-La et Carbone & Silicium (Ankama, 2016 et 2020), le second avec Frontier (Rue de Sèvres, 2023). Conteurs hors pair et créateurs d'univers à la fois intrigants et cohérents, ils ont uni leurs forces pour réaliser Shin Zero, une trilogie enracinée dans la pop culture japonaise.

Nikki, Warren, Satoshi, Héloïse et Sofia, cinq jeunes colocataires dans une mégalopole qui pourrait être Osaka, vivent ce moment de flou entre la fin des études et l'entrée dans le monde du travail. En attendant mieux, ils sont « sentai » : affublés d'une combinaison de couleur comme des superhéros, ils effectuent des petits boulots pour la Sentai corp, une « société de services à la personne et aux entreprises », comme surveiller un magasin, faire cesser des bagarres, remplacer la police sur des petites interventions... S'ils ne sont en rien des superhéros ni même des héros ou des justiciers, les choses étaient bien différentes pour les générations précédentes. À l'époque, le monde vivait sous la terreur des kaiju, énormes monstres détruisant villes et campagnes. Les sentai, alors équipés en conséquence, les combattaient. Mais du jour au lendemain, les kaiju ont disparu. Satoshi, lui, peine à l'admettre et il essaie de motiver ses amis à enquêter sur le sujet.

Shin Zero est un hommage revendiqué au tokusatsu, genre de séries et films japonais aux effets spéciaux faits main, initié avec Godzilla en 1954 et popularisé en France avec les séries super sentai des années 1980 comme Bioman. Mais nul besoin d'avoir été ado à l'époque pour apprécier Shin Zero. Grâce au dessin magnifique et expressif de Guillaume Singelin, fourmillant de détails avec ses influences manga, comics et même réalistes, on entre immédiatement dans cet univers étonnamment crédible. On se laisse happer par le récit qui, au-delà de l'aventure, brasse une multitude de thèmes très actuels : courage, passage à l'âge adulte, responsabilités, besoin de modèle, jalousie, amitié, sexisme, prise en charge de la vieillesse, désenchantement de la jeunesse... Avec cette relecture moderne et personnelle du super sentai, Mathieu Bablet et Guillaume Singelin réussissent à parler de notre époque de manière subtile et détournée.