On ne naît pas Colette. Devenir soi. Si une masterclass portant cet intitulé était aujourd'hui organisée, et si Colette était notre contemporaine, nul doute qu'elle en aurait été la principale invitée. De Colette, nous avons l'image d'une femme libre, ayant conquis sa liberté par la plume et par l'incarnation de sa personne sur scène comme en société. Elle fut la première écrivaine à devenir, en 1949, présidente de l'Académie Goncourt, la première femme à recevoir, en 1954, des funérailles nationales. Mais Colette n'est pas née Colette : elle l'est devenue. Explorant les premières décennies de son existence, déjouant les idées reçues et les discours critiques éculés, Martine Reid, professeure émérite spécialiste de la littérature du XIXe siècle et de la place des femmes en littérature, étudie dans Colette avant Colette comment la romancière en devenir, « petite-bourgeoise peu instruite née dans l'Yonne rurale à la fin du XIXe siècle », réussit à trouver sa place et à se faire un nom sur la scène culturelle de son époque.
Il est avant tout question de s'affranchir. De la figure du père, d'abord. De Jules-Joseph Colette, ancien zouave ayant perdu une jambe sur le champ de bataille, l'écrivaine conserve le patronyme pour nom de plume et le souvenir d'une masculinité claudicante, défaillante. De l'emprise du mari ensuite. À 20 ans, Colette épouse Henry Gauthier-Villars, dit Willy, dont la famille possède une librairie-imprimerie parisienne de renom. Avec ce mariage, la jeune Sidonie-Gabrielle met ses pas dans ceux de sa mère Sido, « étoile, point d'attraction, boussole » de son enfance, qui avait épousé au même âge que sa fille un homme riche plus âgé qu'elle, pourvu d'un patronyme composé, qu'elle avait suivi sur ses terres comme Colette suit Willy à Paris.
La capitale sera le théâtre d'un premier choc : destinataire d'une lettre anonyme, Mme Henry Gauthier-Villars, mariée depuis huit mois, apprend que son mari la trompe. « La pudeur prévaut d'abord. C'est ensuite, dans l'après-coup de la découverte, que vient, comme hâtivement griffonné au dos du réel, l'aveu d'une souffrance insupportable qui précipite dans la dépression. Mort, juge Colette plus tard, mort et résurrection. » Dans Mes apprentissages, Colette reviendra sur ce choc sous la forme d'une saynète, un genre qui lui permet « d'émousser la violence du réel jusqu'à le précipiter dans le ridicule ». L'humiliée devient celle qui humilie, « défense habile d'une Colette qui sait s'exhiber autant que se protéger ». Une mise en scène de soi que la jeune femme érige bientôt en art dans la représentation permanente de son couple : rendus célèbres à partir de 1900 par la série des Claudine, Colette et Willy deviennent l'un des sujets favoris de la presse à sensation. Utilisant leur succès littéraire, ils étalent au grand jour leur vie privée à des fins commerciales. Un subterfuge dont Colette ne restera pas longtemps la dupe puisque l'écolière docile, la prête-plume de talent se libère bientôt du carcan des Claudine dans un geste alliant la vie réelle à l'écriture. Après Claudine à l'école, Claudine à Paris et Claudine en ménage, Claudine s'en va en 1903 dans le texte et en 1906 dans la biographie, et ses livres ne seront plus signés « Willy » mais « Colette Willy », puis « Colette » tout court.
Colette avant Colette. Trouver sa place, se faire un nom
Gallimard
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 192 p.
ISBN: 9782073047595