Philip rôde. L'Amérique, Marc Weitzmann a toujours voulu l'avoir et il l'a eue. Cela ne s'est pas fait tout seul. Il lui a fallu un interlocuteur, un guide, un maître ès maïeutique. Ce fut Philip Roth. Il y a pire que l'un des plus grands écrivains de la deuxième moitié du siècle dernier comme compagnon de jeux d'esprit. Marc Weitzmann, alors jeune journaliste, l'a rencontré en 1999, et leur dialogue, entamé pourtant sous les auspices de la méfiance et de la volonté de faire silence de l'auteur de Pastorale américaine, s'est poursuivi jusqu'à sa mort, le 22 mai 2018. Il y aurait donc eu matière à faire un joli livre de vagabondage amical comme il y en a eu d'autres (on songe par exemple au beau Philip Roth, mon ami de Benjamin Taylor, Philippe Rey, 2021). Mais Weitzmann, suivant sa pente naturelle et quelque peu navrée de contempteur des aléas tragiques des temps, préfère resituer le compagnonnage avec Roth à cette aune-là. En fait, il y a trois protagonistes dans ce dense et passionnant La part sauvage : Roth bien sûr, qui serait comme une sorte de Monsieur Loyal, Weitzmann donc, qui a l'honnêteté de ne jamais laisser son lecteur ignorer d'où il parle, et le monde, l'Occident au moins, qui se désagrège chaque jour un peu plus sous les coups de boutoir du retour de la haine et d'une culture de mort. Populisme, montée de l'antisémitisme et des intégrismes religieux, théories du complot et remise en cause méthodique du réel : sur tous ces sujets, Roth fut un prophète. Mais pas de malheur, puisque la littérature, à travers lui, demeure.
La part sauvage
Grasset
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 24 € ; 384 p.
ISBN: 9782246852407