En plus de faire partie des 71 primo-romanciers qui se jetteront dans l'arène de la rentrée littéraire d'hiver dès janvier, Stéphanie Arc, qui publie Quitter Paris chez Rivages, Camille Bonvalet, auteure de Echographie du vide (Autrement), et Valérian Guillaume, qui livre Nul si découvert à L'Olivier, ont un autre point commun : ils sortent tous de la promotion 2016-2018 du master de création littéraire de Paris 8 Saint-Denis. En mars, leur camarade de promotion, Lucie Rico, aura, elle, les honneurs de P.O.L avec Le chant du poulet sous vide, son premier roman mûri pendant deux ans sur les bancs de la fac de Saint-Denis. Pour leur part, Mathilde Forget (A la demande d'un tiers, Grasset), et Samuel Poisson-Quinton (Un père à la plancha, Gallimard) avaient pris un peu d'avance en étant publiés respectivement en août et en janvier 2019. La formation, initiée en 2013 par les auteurs Olivia Rosenthal, figure du catalogue de Verticales, Vincent Message, édité au Seuil, et Lionel Ruffel, auteur chez Verdier, est sans doute celle qui jouit du plus grand prestige et du plus fort « taux de conversion » parmi la poignée qui existent sur le territoire. Mais elle n'est pas la première.
Une offre large
Depuis 2012 et la création, à quelques mois d'intervalles, du parcours Métiers de l'écriture du master de création littéraire de l'université Toulouse-Jean Jaurès, et du master Lettres et création littéraire du Havre, la France, ce pays où « écrire ne s'apprend pas », voit éclore les cursus diplômants en création littéraire sur le modèle des études de creative writing institutionnalisées depuis... 80 ans aux Etats-Unis (voir p. 18). « Chaque étudiant est recruté sur dossier et arrive avec un projet de manuscrit, qui deviendra son mémoire de fin d'études, décrit Olivia Rosenthal. On travaille sur l'originalité du texte et la langue dans laquelle il s'écrit. Les étudiants rencontrent des traducteurs, des éditeurs, des attachés de presse, et ils approfondissent leur culture littéraire », détaille la responsable du cursus de Paris 8, qui encadre la vingtaine d'élèves de chaque promotion aux côtés de Vincent Broqua, Christine Montalbetti ou Sylvain Pattieu, entre autres. Déjà publiée au Cavalier Bleu pour ses essais et un recueil d'entretiens, Stéphanie Arc, entrée au master à 40 ans, a pu développer son projet de fiction « au sein d'un collectif où l'on progresse tous ensemble. Nous avons les mêmes questionnements, nous apprenons à lire les textes des autres et à être lus, il y a aussi une émulation qui incite à se dépasser », observe-t-elle. Comme Le Havre où le master est dirigé par l'auteure et éditrice Laure Limongi, Paris 8 et Toulouse appuient sur la pratique. « Beaucoup rêvent de devenir écrivain, mais on constate que pas mal d'élèves se tournent aussi vers la médiation culturelle », indique Sylvie Vignes, responsable pédagogique à l'université de Toulouse, dont sont sortis Quentin Desauw et Laura Rincon-Ferret. De son côté, l'université de Cergy-Pontoise se différencie en mettant l'accent sur l'apport théorique. On y trouve l'offre de formation la plus large, du DU Écritures créatives et métiers de la rédaction au doctorat Pratiques et théories de la création littéraire et artistique, en passant par un master dont est issu Marin Fouqué, « où l'on essaie de faire sortir les étudiants de leur zone de confort dans l'écrit plus que de retravailler un manuscrit », explique la co-directrice du master, Anne-Marie Petitjean. Les masters de Clermont Auvergne, créé en 2016, et d'Aix-Marseille, ouvert en 2018, font aussi davantage de place à la théorie. « L'axe Recherche et création, où Sylvain Prudhomme donne cette année des masterclasses, et le parcours par correspondance Ecopoétique et création sont aussi des outils pédagogiques qui changent le rapport des étudiants à la littérature », relève Lise Wajeman, chargée du programme à Aix-Marseille, rappelant que cette faculté a été la première à créer un doctorat, en 2012.
Des textes aboutis
Ces cursus sont nés dans un contexte de multiplication des ateliers d'écriture (1), entre les ateliers de la NRF (depuis 2012), dont est issue Leïla Slimani, les ateliers du Figaro littéraire (2016), et les cours qui se créent en ligne. L'école Les Mots (2017), installée dans le 5e arrondissement de Paris, est la dernière née de ces formations non diplômantes mais dispensées par des professionnels. « Nous proposons des stages, rencontres, débats ou ateliers au long cours, pour progresser dans l'art d'écrire et démystifier un peu le métier d'écrivain », explique Elise Nebout, cofondatrice avec Alexandre Lacroix (voir encadré ci-dessous). Mais face à cette offre exponentielle, les masters ont d'abord pâti d'une certaine défiance de la part de l'édition.
« Je suis un peu de la vieille école, et je craignais le clonage, ou de reconnaître la patte de la méthode », admet Marie-Catherine Vacher, directrice du domaine anglo-américain d'Actes Sud, qui a abordé sa mission de juré du master de Paris 8 avec « beaucoup de sérieux », en 2018. La qualité et la diversité des textes qu'elle a lus l'ont poussée à « mettre un bémol à [s]es a priori ». L'éditrice, qui avait déjà publié Lucie Desaubliaux, sortie du master du Havre, au printemps 2017, a flashé sur le texte de Stéphanie Arc, avant de le transmettre à l'éditrice Emilie Colombani, chez Rivages. « Son manuscrit était déjà très abouti, mais il arrive que ce soit le cas aussi pour ce que je reçois par voie postale, remarque cette dernière, qui a elle-même intégré le jury de Paris 8 il y a quelques années, et publié la romancière Thi Thu, formée au Havre. Dans ces masters, une nouvelle forme de création s'invente, qui est intéressante et n'a souvent rien à voir avec ce que l'on a l'habitude de lire. »
Le profil des directeurs de masters, et la couleur qu'ils peuvent apporter aux textes qu'ils suivent, est aussi un gage de qualité aux yeux des professionnels, de plus en plus nombreux à regarder de près ce nouveau vivier. C'est parce que Marie-Catherine Vacher connaissait bien Laure Limongi qu'elle a accepté de donner une masterclass à ses étudiants du Havre. « Je les ai prévenus que ce serait dur d'en vivre ! », s'exclame-t-elle. « J'étais une fan d'Olivia Rosenthal, de ses textes, de qui elle est, raconte de son côté Nathalie Kuperman, qui publie Valérian Guillaume à L'Olivier et a fait partie d'un jury de Paris 8. Je suis dubitative sur la promesse qu'offrent les ateliers d'écriture, cela dépend beaucoup de qui les anime. Dans ce cadre universitaire, j'avais une vraie confiance dans les personnes. Même si ces cursus ne donnent pas des écrivains à tous les coups, ils permettent à de jeunes plumes de s'autoriser à écrire, tout en étant accompagnées. J'aurais adoré suivre ce type de formation en étant étudiante ! »
Mise en réseau
Au Havre, où le master a la particularité d'être hébergé à la fois par l'université et par l'école supérieure d'art, Laure Limongi a vu naître de véritables « communautés d'auteurs » à l'issue du cursus qu'elle dirige. Un avantage dans un métier où l'on a tendance à être « très isolé », mais aussi un plus du point de vue de la création, selon la romancière, qui « pense souvent au Black Mountain College », cette université libre et expérimentale de Caroline du Nord, qui accueillit nombre d'artistes avant-gardistes entre les années 1930 et 1950. « Il y a quelque chose d'un peu unique qui naît au fil de ces deux ans », ajoute-t-elle en citant Alexandra Lafitte Cavalle et François Belsœur, qui déploient leur activité d'éditeurs-artistes au sein du studio Courte échelle. « Ce type de formations manquait en France », abonde Sylvie Vignes. Plusieurs de ses étudiants de Toulouse ont lancé en 2017 la revue littéraire illustrée La Coudée, qui commence à s'implanter. Une fois lâchés dans la nature, loin du microcosme rassurant de leur formation, ces jeunes auteurs parviendront-ils à trouver leur place dans le paysage littéraire ? « Maintenant, on attend les seconds textes, ceux que nous n'avons pas accompagnés », note Olivia Rosenthal. Première étudiante de Paris 8 à franchir ce cap, Aliona Gloukhova publiera L'autre côté de la peau le 6 février chez Verticales.
Un boom international
Si les Etats-Unis présentent une large avance avec leurs cursus de creative writing quasi-centenaires, la plupart des pays d'Europe voient fleurir des certificats, bachelors ou masters de création littéraire à l'université.
Joyce Carol Oates, Toni Morrison, Richard Ford, Raymond Carver... « Tous les grands noms des lettres américaines sont titulaires d'un Master of Fine Arts (MFA) en creative writing », observe l'éditeur (chez Albin Michel), libraire et président du festival America, Francis Geffard. Si l'on comptait une quinzaine de cursus de ce type aux Etats-Unis dans les années 1970, aujourd'hui chaque Etat dispose d'au moins un programme universitaire de création littéraire. Avant qu'elle ne soit formalisée à partir des années 1930 avec l'Iowa Writer's Worshop, l'idée de transmettre l'art d'écrire remonte au 19e siècle, selon Francis Geffard. « Il fallait construire une culture authentiquement américaine, c'est pourquoi les auteurs ont commencé à se rencontrer, à donner des cours ou à publier dans des revues, explique-t-il. Il y a une dimension de collégialité à l'université héritée de cette période. »
Un modèle qui s'exporte
S'il est encore suspecté en France d'uniformiser la production de fiction - « c'est faux, il permet au contraire de faire émerger de nouvelles voix », assène Francis Geffard -, le modèle américain s'est logiquement exporté au Canada avant d'arriver sur le Vieux continent. Dix-sept universités y dispensent des formations de niveau licence (Bachelor's Degree) ou master (Master's Degree), les plus anciennes ayant été créées dans les années 1980. Sur le bassin francophone du Québec, plusieurs universités proposent elles aussi, depuis une quarantaine d'années, de rédiger un mémoire ou une thèse en création littéraire. L'université du Québec à Montréal (UQAM) « a été l'une des pionnières », se félicite l'un de ses professeurs, Marc-André Brouillette. Pour lui, « l'omniprésence de ces formations en montre la popularité et la nécessité ».
En Europe, forte d'une tradition de formation à l'écriture, l'Allemagne fait figure de défricheuse. À l'institut allemand de littérature de Leipzig, ouvert à l'époque de la RDA, fermé puis restructuré en 1995, le format s'approche des formations américaines.
L'autre grande formation littéraire du pays, à Hildesheim, prépare davantage aux professions de médiation culturelle. « Une formation similaire a ouvert récemment à Cologne, et en Autriche, l'université des arts appliqués de Vienne propose un diplôme de création littéraire depuis le début des années 2010 », signale Marie Caffari, elle-même directrice de l'Institut littéraire suisse de Bienne.
Chaque année en Suisse, 16 étudiants dont un tiers de francophones intègrent le bachelor (équivalent à une licence) créé en 2006 au sein de la Haute école des arts de Berne. « Ils sont plutôt dans une démarche de travail sur leur écriture que dans l'optique d'une publication », indique-t-elle, tandis que la formation de niveau master s'adresse à des auteurs plus expérimentés.
Plus encore qu'en France, on remarque au Royaume-Uni une explosion des parcours de creative writing, passés d'une soixantaine en 2003 à plus de 500 en 2014, selon nos confrères de The Bookseller. « Le plus célèbre est sans doute celui de l'université d'East Anglia, mais il faut aussi noter que de plus en plus d'éditeurs lancent leurs ateliers, comme la Faber Academy », indique la rédactrice en chef adjointe du magazine professionnel, Benedicte Page. Chez nos voisins de Belgique, c'est via l'école d'art La Cambre qu'a été lancé en 2016 l'Atelier des écritures contemporaines, un « laboratoire » délivrant pour l'instant un certificat (licence) qui devient un master l'an prochain. En Italie, outre un riche écosystème d'ateliers, la Scuola Holden, fondée en 1994 à Turin et administrée par quatre partenaires dont le groupe Feltrinelli, vient tout juste de créer le premier cursus d'écriture diplômant du pays.