Aujourd'hui, après six mois d'attente et de multiples relances pleines de promesses, un éditeur m'a demandé par e-mail mon numéro de téléphone pour me parler de mon roman. C'est tout excité que je décroche à la première sonnerie. Là, il avoue en fait ne pas avoir lu le livre et l'avoir perdu. VDM." Sur Viedemerde.com (VDM), un certain "Louloutim" résume sa déconvenue, ainsi que Guillaume Passaglia et Maxime Valette, cofondateurs du site des avanies de la vie quotidienne, auraient pu le faire alors qu'ils sollicitaient en vain des éditeurs pour en publier une compilation. Depuis, ils sont passés en mode VER (Vieenrose). «Nous en sommes environ à 600 000 exemplaires entre le grand format, les rééditions en poche, la série BD et les agendas", >calcule Guillaume Passaglia. C'est Michel Lafon qui les avait spontanément contactés pour tester à l'automne 2008 une première sélection (275 pages, 14,10 euros, 8 000 exemplaires) immédiatement réimprimée.

INTERNAUTES ANONYMES

Le genre a fait école et est presque devenu un secteur à part entière du rayon humour : plus personne ne doute qu'il y a bien un marché dans l'édition de contenus pourtant totalement gratuits sur Internet, écrits par d'innombrables internautes anonymes sur des sites participatifs. Début janvier, Leduc.s a publié une compilation du meilleur et du pire du site Blaguesdemerde.com dans Tut-tut, sa nouvelle marque d'humour. "Le top et les flops, en fonction des jugements des internautes, sont présentés tête-bêche", explique Karine Bailly, directrice éditoriale fiction de la maison, et responsable de la marque. Elle envisage de renouveler l'expérience avec d'autres sites, si cet essai est concluant. A 6 euros, pour 226 pages en format minipoche, ce recueil démarre très fort.

J'ai lu a publié cette semaine Mes parents font des SMS (144 pages en couleurs, 5 euros), >un florilège tiré du site du même nom, où d'insolents rejetons repostent les messages de leurs géniteurs, jugés aussi consternants que ridicules. "Nous les avons classés en sept chapitres, sur l'autorité, les difficultés de communication, les problèmes techniques, les blagues des parents, etc.", explique Christophe Absi, chargé de la collection d'humour de l'éditeur de poche. Il prépare aussi un volume tiré du contenu de Chersvoisins. tumblr.com, où sont publiées les copies de mots hargneux, vengeurs, exaspérés, et parfois drôles, que les cohabitants des villes s'adressent dans leurs halls d'immeubles. Dans tous les cas, les droits vont aux gestionnaires des sites, les internautes ayant accepté leur abandon dès l'inscription d'usage. J'ai lu publiera aussi une compilation des requêtes les plus farfelues faites sur Internet, et dûment authentifiées selon son auteur Josselin Bordat, qui en avait autoédité une première version : Comment devenir un ninja gratuitement, du tumblr du même nom. Il y aura à trier, car la recherche d'une question drôle sur le site ressemble à la quête d'une chaise non bancale dans une brocante de troisième catégorie.

De gauche à droite, Vie de merde, le premier titre de la série à succès (Privé-Michel Lafon, 2008), Les meilleures recettes de Marmiton (Play Bac, 2012), Un hareng dans mon jardin ! (Larousse, 2013), et Guide de survie du jeune papa, Tut-tut-Leduc.s, 2013).- Photo OLIVIER DION

C'est précisément ce travail de sélection qui fait le succès des Meilleures recettes Marmiton, tiré à 20 000 exemplaires en octobre dernier par Play Bac, et réimprimé dès janvier (200 recettes sur les 57 000 du site, 240 pages, quadrichromie, 20 euros). Encore plus que l'humour, la cuisine illustre tout le paradoxe de la disponibilité surabondante de contenus gratuits sur Internet, sans effet apparent sur les ventes de livres traitant des mêmes sujets. "Les communautés qui publient beaucoup sur Internet sont avides d'informations et de lecture", analyse Eric Sulpice, directeur éditorial chez Eyrolles, attentif à ces sites participatifs, et qui a déjà publié plusieurs livres en partenariat avec certains d'entre eux. Les 12 à 15 millions de visiteurs mensuels de Marmiton représentent ainsi une cible de promotion idéale.

LE LIVRE PEUT S'OFFRIR

Larousse, qui entretient soigneusement "le relais d'influence" de la partie cuisine de son portail, explique Vivien Chantepie, responsable marketing multimédia, s'est lancé aussi dans l'édition de recettes tirées du Web avec Mon best of des recettes du Net, faciles et pas chères (192 pages, 9,90 euros), à l'office du 6 février dernier. C'est aussi à partir d'Internet que l'éditeur avait lancé en 2011 Un hareng dans mon jardin ! 100 trucs du Net et astuces de grand-mère enfin décryptés par un expert, >qui balayait des croyances sans fondement, ou validait du bon sens ancestral (Jean-Paul Collaert, 5 euros, 127 pages, près de 14 000 exemplaires selon Ipsos). "La valeur ajoutée du livre, c'est qu'il est durable, valorisant et qu'il peut s'offrir", ajoute Damien Hervé, chargé de la stratégie et de la recherche chez Play Bac, lequel a publié d'autres sélections de Marmiton.org sous forme de chevalets, d'éventails, ou d'antisèches, tirés de 8 000 à 20 000 exemplaires, "avec un taux de retours de 10 à 20 % au maximum", se félicite Christophe Duhamel, heureux cofondateur du site. «Parmi tous les éditeurs qui nous ont contactés, Play Bac nous a convaincus par l'originalité de ses propositions. Les 200 recettes du best of sont présentées avec une élégance qui n'existe pas sur Internet", apprécie-t-il, convaincu de la complémentarité du papier, et «de son pouvoir symbolique qui nous a donné une reconnaissance parmi les professionnels de la cuisine". Marmiton édite aussi un mensuel (113 000 exemplaires selon l'OJD en 2012) en partenariat avec le groupe Springer, mais n'envisage pas de se lancer seul dans l'édition, de presse ou de livres, "un métier pour lequel nous n'avons pas les compétences".

C'est en 2005, dans l'informatique, un secteur alors sinistré, que Dunod et Commentçamarche.com ont lancé la toute première expérience du genre. "Nous avons réalisé de bons scores, même si les ventes se sont un peu tassées depuis. Nous réfléchissons à la façon de faire évoluer le modèle", explique Jean-Baptiste Gugès, éditeur responsable de la collection (25 titres). Les premiers titres ont repris le contenu des parties pédagogiques du site, nourries elles-mêmes de l'actualisation des rééditions des livres, dûment signalées sur Commentçamarche. «Les compilations de trucs et astuces n'ont plus aucun intérêt. Ce qui fonctionne bien, c'est le livre de cours et d'apprentissage, avec une progression cohérente", juge avec le recul de l'expérience Jean-François Pillou, fondateur de Commentçamarche.

Exactement ce que propose Simple IT, éditeur de gros manuels pour développeurs, à partir des tutoriels du Siteduzero.com. «Cinq cents pages à lire sur un écran d'ordinateur, ce n'est pas agréable", explique simplement Pierre Dubuc, cofondateur du site, qui avait d'abord travaillé avec Eyrolles. L'édition représente maintenant 50 % des recettes de l'entreprise, et les ouvrages sont composés automatiquement à partir du site, structuré dans cet objectif.

L'autre possibilité, c'est la création de livres à la demande de l'internaute, "à l'instar de ce que propose Wikibooks", envisage Jean-François Pillou, notamment en cuisine, une des domaines aussi exploités par Benchmark Group, repris par Commentçamarche, et dont il est vice-président. «Il n'y a plus d'obstacle technique aujourd'hui", confirme Christophe Duhamel, "mais les internautes n'expriment pas cette demande pour l'instant."

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