C'est la première fois qu'on dispose d'une telle enquête, et elle mérite qu'on s'y attarde", insiste Florence Martin. La directrice de la communication de Dunod est à l'origine, en 2009, du projet du "Chèque-livre sup", vers lequel tend l'enquête sur l'évolution du marché du livre universitaire commandée à Ipsos par le groupe des éditeurs universitaires du Syndicat national de l'édition (SNE), qui en a rendu publics les résultats ce mois-ci (voir p. 72). "Les remontées des éditeurs et des libraires étaient devenues très préoccupantes, se souvient François Gèze, P-DG de La Découverte et président du groupe. Sauramps, à Montpellier, avait été la première librairie à tirer la sonnette d'alarme. »"Le fonds numérisé ne semblait pas vouloir décoller à l'université, précise Florence Martin. La question devenait donc pressante : comment replacer le livre au centre des préoccupations des étudiants ? Et comment reconstituer le cercle vertueux enseignant-étudiant-libraire ?"
SUBVENTION
C'est dans cette perspective que l'idée d'un Chèque-livre sup a émergé. Sur le modèle de ce qui est fait dans le secondaire, il consisterait en une subvention pour les étudiants de licence, de façon à "les ramener à la librairie", comme le dit Florence Martin. Et donc à "ramener les enseignants à la prescription : ils ne prescrivent pas parce qu'ils sont très sensibles au prix du livre, et ne veulent pas avoir le sentiment de se placer dans un rapport commercial avec leurs étudiants". Au-delà de sa dimension économique, le projet comporte aussi un enjeu pédagogique. "On s'était déjà rendu compte au moment de l'apparition massive des services de reprographie dans les facs [au début des années 1980, NDLR] que cette pratique fabriquait une sorte de zapping pédagogique, puisque l'étudiant perdait l'habitude de travailler avec un ouvrage complet", rappelle François Gèze. Ici, le problème est du même ordre car, comme le formule Florence Martin, "on ne retient pas la même chose à l'écrit qu'à l'écran. Consulter Wikipédia, c'est pratique, mais c'est un contenu privé de démarche éditoriale comme de démarche pédagogique".
Restait donc à convaincre les institutions compétentes de la nécessité d'une action budgétaire. Cela s'est révélé compliqué. "Nous avons pris un premier contact avec les conseils régionaux et le ministère, raconte François Gèze. Tout le monde trouvait l'idée très bonne, personne ne disait non. Mais personne ne voulait payer. A part auprès des bibliothèques universitaires, qui sont notre meilleur allié de terrain, on avait un peu l'impression de prêcher dans le désert." Le besoin d'une étude concrète et précise du marché s'est alors fait sentir. Le travail préparatoire a été long et délicat. "Le plus difficile a été de définir le corpus. Nous voulions prendre en compte exclusivement les ouvrages de formation destinés aux étudiants de bac + 1 à bac + 5», poursuit-il. "Nous avons tout de suite décidé d'exclure les codes juridiques, qui sont aussi destinés aux professionnels. De tels volumes de vente auraient biaisé l'analyse, ajoute Florence Martin. Pour le reste, nous nous sommes servis des entrées de recherche de la base Electre : à défaut d'une fiabilité à 100 %, elles permettent un référencement délivré par un organisme neutre et indépendant." L'étude a été lancée en février 2011. "Si les critères en sont peut-être trop systématiques, les données absolues qu'elle dégage, sur l'évolution du marché, restent tout à fait valables, puisque le panel et le corpus sont stables", souligne François Gèze.
Principale conclusion : le marché est sinistré. "Je suis surpris surtout par l'homogénéité des situations des éditeurs, glisse le président du groupe. Tous font les mêmes efforts éditoriaux et commerciaux, tous s'adaptent à l'évolution comme ils peuvent, et tous récoltent le même résultat. Il faut agir maintenant." Du coup, l'étude doit servir de fer de lance pour l'action à mener. "Elle offre une meilleure visibilité globale du marché : le résultat est clair et concret, souligne-t-il. Elle permet d'apporter quelque chose de tangible à nos interlocuteurs, souvent réceptifs mais très ignorants."
LOBBYING
Quelle stratégie, donc, pour la suite ? "Nous allons retourner vers les institutions, annonce Florence Martin. Comme nous les avons déjà rencontrées, ce sera sans doute plus facile. Moi, j'ai des méthodes qui relèvent du marketing. Mais François Gèze nous a orientés vers un lobbying de fond.""Il faut jouer au niveau politique, estime le président du groupe des éditeurs universitaires du SNE. Le ministère n'a pas d'argent et utilise toutes les arguties pour nous rouler dans la farine. Nous sommes en période préélectorale, il nous reste six mois pour sensibiliser non seulement les Régions, mais aussi les députés, les partis politiques... C'est un sujet bien perçu, et le projet peut être facteur d'attractivité régionale." Le SNE entend démonter sa combativité dans cette bataille. "Il doit y avoir deux mots d'ordre pour les étudiants : la connaissance et la réussite, martèle Florence Martin. Le livre est au centre : en favoriser l'accès, c'est aussi oeuvrer pour l'égalité des chances." Les chances des étudiants, des libraires et des éditeurs.