Qui a dit que les Français n’aimaient pas les langues ? L’engouement du public pour les méthodes d’apprentissage tend à prouver que si le cliché a un fond de vérité, il est aussi grand temps de lui tordre le coup. L’anglais est sans surprise la langue la plus apprise en autonomie, mais son hégémonie est chaque jour davantage contestée. "L’érosion de l’anglais est logique. Les jeunes générations le maîtrisent bien mieux que les anciennes, la demande en initiation est donc moins forte, décrypte Nicolas Ragonneau, directeur marketing et développement éditorial chez Assimil. Les autres langues européennes progressent, à commencer par l’espagnol. "L’allemand et l’italien sont en perte de vitesse tandis que le portugais augmente. Du côté des langues asiatiques, le japonais et le chinois connaissent une bonne dynamique mais restent de petits marchés", observe pour sa part Carine Girac-Marinier, directrice des départements dictionnaire et jeunesse chez Larousse et responsable des éditions Harrap’s (propriété de Larousse).
Concurrence de l’entrée de gamme
En librairie, peu de nouvelles langues émergent. Chez Ombres blanches à Toulouse, le responsable du rayon librairie étrangère, Yoan Mazenc, signale seulement l’émergence du coréen, surtout demandé par de jeunes fans de k-pop. L’Asiathèque renforce son domaine coréen en ce premier trimestre avec une méthode et deux bilingues. "Nous avons un gros rayon pour le chinois et le japonais. Pour le reste, c’est très classique avec l’anglais et l’espagnol qui dominent, devant l’italien et l’allemand." "Finalement la langue qui se développe le plus est le français langue étrangère (FLE) §", souligne Eric Joly, patron de la librairie spécialisée Attica, à Paris. Chez Assimil, le FLE est même la cinquième langue la plus vendue et va devenir "de plus en plus intéressant à l’export, notamment en Afrique en raison de la natalité qui progresse toujours fortement §", estime Nicolas Ragonneau.
Sur la typologie des ouvrages, les méthodes traditionnelles ("Sans peine" chez Assimil, "Méthode intégrale" chez Harrap’s…) sont les produits les plus prisés par les apprenants, mais elles sont de plus en plus concurrencées par des ouvrages d’entrée de gamme. Assimil et Larousse, en particulier, ont tous les deux lancé récemment une collection de cahiers d’exercices destinés à un public plus large. Depuis trois ans, Assimil déploie ainsi une série de cahiers couvrant les principales langues. "Cette collection répond au besoin des apprenants de mettre à l’épreuve leurs compétences linguistiques", explique Nicolas Ragonneau. Depuis l’automne dernier, l’éditeur a poursuivi la diversification de son offre avec deux jeux de société (Délirolinguo et Etymolinguo). Pour Assimil, l’objectif est, entre autres choses, de renforcer sa présence dans les grandes surfaces alimentaires. "Nos méthodes "Sans peine" se vendent au prix moyen de 65,9 euros dans les réseaux classiques de la librairie, explique le directeur commercial Laurent Estival. Mais elles ne sont pas adaptées aux besoins de la grande distribution. En revanche, les cahiers et les jeux de société ont davantage leur place car ils sont moins chers et peuvent faire l’objet d’achats d’impulsion à des moments clés de l’année comme les grandes vacances et la rentrée scolaire. §"
Larousse s’appuie aussi sur de nouvelles collections plus légères et proposées sous sa propre marque. En 2013, l’éditeur avait lancé la série Démarrez le… ; il a complété l’an dernier avec 15 minutes par jour… qui propose des titres en anglais, anglais des affaires, espagnol, italien et va poursuivre cette année avec une nouveauté dédiée au chinois. "L’apprentissage de langues est assez récent chez Larousse, mais nous pensons qu’il est légitime pour un éditeur de dictionnaires de proposer des méthodes de langues accessibles", indique Carine Girac-Marinier.
Les éditeurs français dominent
Toujours du côté des innovations, Assimil a refondu en septembre la collection "Sans peine", dont les titres paraissent progressivement dans leur nouvelle maquette (l’anglais en février, le chinois en mars). L’éditeur a aussi décidé de matérialiser sous forme de coffrets une partie de son offre numérique. Cinq "E-méthode" (anglais, espagnol, allemand, italien et russe) sont ainsi disponibles en librairie et seront complétées en avril par deux nouveautés (perfectionnement en anglais et espagnol).
Si les éditeurs français dominent le marché, les étrangers représentent aussi une force non négligeable, en particulier en langue anglaise. "Cambridge University Press et Oxford University Press sont deux très importants pourvoyeurs de livres d’apprentissage en anglais, devant Pearson, Macmillan, HarperCollins ou Scholastic", signale Eric Joly, chez Attica. Ces éditeurs sont très prisés des centres culturels, des médiathèques municipales et des sociétés spécialisées dans l’apprentissage de langues (Wall Street English). "L’intérêt des Français pour les livres d’apprentissage dans la langue d’origine tient au fait que les anglophones sont les mieux placés pour enseigner leur langue, ajoute Eric Joly. Quant aux autres langues, elles deviennent très vite rares et on ne trouve pas toujours d’offre en français. Il devient alors indispensable d’importer." Cela n’empêche pas les éditeurs français de trouver des niches très rentables. Paru en 2014, Le luxembourgeois à grande vitesse (Assimil) a atteint 10 000 exemplaires. En mars, Assimil a aussi publié Le japonais du manga, en coédition avec Kana. S’il n’est pas une méthode à proprement parler, mais plutôt un recueil de vocabulaire, le titre a tout de même séduit 3 700 curieux.