Quel avenir pour les éditeurs d’érudition, sociétés savantes et autres laboratoires de recherche dont les titres étaient diffusés-distribués par De Boccard ? Ils sont une cinquantaine à avoir découvert à l’automne dernier la cessation d’activité de l’entreprise dirigée par Isabelle Malaise. De Boccard était en réalité en cessation de paiement depuis octobre 2020 : le tribunal de commerce de Paris a même prononcé sa liquidation judiciaire par un jugement en date du 29 avril 2022.
Une liquidation judiciaire apprise tardivement
De Boccard, qui avait été racheté en 2012 à ses dirigeants historiques par Isabelle Malaise, a pourtant continué d’exercer son activité plusieurs mois après le jugement, retardant d’autant la révélation de sa situation à l’ensemble de ses partenaires. « Nous avons été mis au courant de la liquidation judiciaire en septembre par les libraires. Depuis nous n’avons pas réussi à joindre De Boccard et nous sommes contraints de nous distribuer nous-mêmes », explique Thérèse Josset, directrice-fondatrice des éditions du Léopard d’Or. De la même manière, ce n'est que par des demandes de renseignements de clients qui ne recevaient pas leur publication commandée que l’Association culturelle de Cuxa a appris, également en septembre dernier, la cessation d'activité de De Boccard. Olivier Poisson, président de cette structure dédiée à l’abbaye Saint-Michel de Cuxa (Pyrénées-Orientales), témoigne : « Nous avions pourtant eu de leurs nouvelles comme d'habitude, ils nous avaient demandé le sommaire du volume 2022 pour inscription à leur catalogue, et nous leur avions livré une part du tirage du volume de 2022 en juillet ». La cessation d’activité de De Boccard cause un réel préjudice à la petite entité, qui n’a pas pu récupérer une partie de son stock et n’a pas touché le produit des ventes des exercices 2021 et 2022. « C'est quelque chose comme 5 000 euros, au moins, dont la non-perception va mettre en difficulté les finances de notre association », ajoute Olivier Poisson.
A l’instar du Léopard d’Or ou de l’Association culturelle de Cuxa, les clients de De Boccard se heurtent aujourd’hui au silence de leur ancien diffuseur-distributeur. Le téléphone et le mail professionnel d’Isabelle Malaise sont inactifs.
Des difficultés anciennes
Il se trouve que les difficultés de De Boccard étaient plus anciennes et déjà connues de certains de ses interlocuteurs. Sous contrat depuis 1975, MOM Éditions (anciennement Publications de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée) avait par exemple été confronté à de premiers impayés dès 2015 pour les exercices 2013 et 2014, puis de nouveau en 2017 et 2018. Après de vaines tentatives de négociations avec De Boccard, l’éditeur avait fini par mettre en place en 2019 une procédure de recouvrement des recettes dues. « En 2020, nous avons cessé toute activité commerciale avec De Boccard », précise Ingrid Berthelier, responsable du service éditions. Après avoir pendant un temps tenté de recouvrer par voie d’huissier la dette de 26 000 euros couvrant presque quatre années d’exploitation, le conseil d’administration de l’université Lumière Lyon 2 (autorité de tutelle de MOM Éditions), a fini par voter en mai 2022 la demande d’admission en non-valeur de cette dette, renonçant par là-même à son recouvrement. En mars 2022, MOM Éditions était seulement parvenu à récupérer son stock entreposé chez De Boccard (environ 1 900 livres).
La déconfiture de De Boccard, dont le local de la librairie situé rue Lanneau dans le 5e arrondissement de Paris garde aujourd’hui store baissé, incite par ailleurs d’autres acteurs à se positionner sur la diffusion-distribution des éditeurs lésés. Les particularités de ce marché (tirages très faibles, diffusion confidentielle...) limitent cependant le nombre de candidats potentiels. Contrainte pendant quelque temps d’assurer elle-même les commandes d’ouvrages en direct, l’association culturelle de Cuxa a par exemple confié sa diffusion-distribution aux éditions Mergoil.
Solutions de rechange
La Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH), qui a récemment ouvert un comptoir physique de vente à Paris pour améliorer la diffusion de ses éditeurs partenaires, est aussi sur les rangs. « Nous avons bien appris la fermeture de De Boccard depuis plusieurs mois et nous sommes sensibles à cette période délicate pour les éditeurs qui ont perdu leur diffusion, confirme Joseph Dho, directeur de la diffusion-distribution chez la FMSH. Plusieurs d’entre eux, notamment ceux dont la spécificité organisationnelle positionnait leurs différents catalogues au sein de nos deux structures, se rapprochent actuellement de nous pour voir dans quelle mesure nous pouvons prendre en charge l’intégralité de leurs fonds. »
La FMSH se dit également attentive à accueillir toute structure éditoriale qui participe des mêmes champs d’étude et de réflexion. « L’évolution amorcée depuis deux ans par notre service devrait nous permettre de disposer rapidement des capacités d’accueil idéales », avance Joseph Dho. MOM Éditions fait notamment partie des nouveaux clients de la FMSH, qui assure à la fois la diffusion auprès des particuliers via son site de vente en ligne et sa nouvelle librairie physique, ainsi qu’auprès des libraires à travers le CID, un organisme qui assure la promotion des livres en librairie grâce à son réseau de représentants. D’autres éditeurs devraient intégrer la diffusion-distribution de la FMSH d’ici le milieu de l’année.