On l'appelait Charles le Chauve parce qu'il était dégarni. « Cette interprétation, la plus vraisemblable, a de surcroît la vertu, en l'espèce, de n'être point tirée par les cheveux. » Laurent Theis ne manque pas d'humour, mais son étude, passionnante à plus d'un titre, ne se résume pas à cette lapalissade. Derrière le nom, l'historien veut montrer l'époque et il a une prédilection pour les périodes lointaines. C'est le cas de ce IX^e siècle où l'on écrit en latin et où l'on parle le tudesque et le roman : les traces sont rares, peu fiables et les personnages brumeux. Après Dagobert, Hugues Capet, Clovis et Robert le Pieux, voici Charles le Chauve : l'empire des Francs.

Soyons honnêtes, nous avions un peu oublié ce petit-fils de Charlemagne et fils de Louis le Pieux qui voulut mettre son règne dans les pas de son illustre grand-père. Nous avions tort. Car à travers lui ressurgit un passé fascinant, avec ses prédicateurs gyrovagues qui errent de monastère en monastère comme ce fameux Gottschalk, ce monde chrétien encore nimbé au quotidien de miracles en tout genre, ces discussions hautement savantes sur la prédestination ou ce raffinement qui se conjugue avec la pire cruauté. Ainsi, Carloman, l'un des fils de Charles le Chauve avait osé défier militairement son père : la peine de mort fut commuée en aveuglement pour qu'il puisse méditer son acte et on lui creva les yeux.

Le petit-fils oublié

Laurent Theis exploite avec finesse une documentation érudite et, en onze chapitres qui reprennent onze journées marquantes du règne de Charles le Chauve, il redonne un peu de consistance au fantôme, un soupçon de profondeur à sa vie, un nuage de certitude à son caractère. Entre le fracas des armes et le murmure des synodes, Charles le Chauve montre une tête bien pleine, manifestant une curiosité intellectuelle, religieuse et artistique, s'entourant de théologiens éminents comme Jean Scot Erigène, faisant appel aux meilleurs artistes pour les enluminures des livres qu'il commande, encourageant cette renaissance voulue par son illustre aïeul. « Le règne de Charles le Chauve se caractérise par une efflorescence artistique de grande ampleur dont aucun autre, à l'époque carolingienne, n'est à ce point pourvu et qui a délibérément concouru à la glorification du roi avec son langage propre. »

Pendant trente-sept ans il a poursuivi son ambition politique et spirituelle, par la guerre ou par la négociation, et il a administré un territoire convoité par les Normands mais aussi par une famille avide. Pour Laurent Theis, « Charlemagne, assurément a moins fait la France, si cette expression a un sens, que son petit-fils ». Dans un pays en formation, il parvient par le traité de Verdun (843) à organiser la succession de l'ensemble des royaumes francs et en 875, deux ans avant sa mort, il est couronné empereur. Pourtant, pas question de tenter une réhabilitation, « concept inopérant et contre productif en histoire ». L'auteur préfère se saisir des ombres, reconstituer les scènes et faire surgir un autre temps « à la croisée du livre et du rêve ». Grâce à lui, le Chauve retrouve de l'épaisseur.