Entretien

Laurent Beccaria : capter les signaux faibles

Laurent Beccaria - Photo photo olivier dion

Laurent Beccaria : capter les signaux faibles

Deux ans après le lancement de sa propre diffusion et le raz-de-marée Merci pour ce moment, et un an après l’inauguration d’un département BD, le patron ddes Arènes mise encore sur la croissance par la création en développant des lignes tourisme et jeunesse avec lesquelles il veut "devancer les tendances".

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Par Anne-Laure Walter
Créé le 24.08.2016 à 21h00 ,
Mis à jour le 28.08.2016 à 17h20

Tout semble réussir à Laurent Beccaria. Le patron des Arènes reçoit dans son nouveau bureau, dans l’annexe où vient d’emménager une partie du Groupe du 27, sur le trottoir opposé de la rue Jacob, à Paris (6e). Avec un chiffre d’affaires de 19,5 millions d’euros, le groupe qu’il a créé il y a dix-neuf ans avec sa femme, Sophie de Sivry, affiche la 5e plus importante progression de l’édition (+ 77 %) l’an passé. Et avec plus de 300 000 exemplaires écoulés depuis janvier de Trois amis en quête de sagesse, l’horizon 2016 semble dégagé. Il explique sa stratégie reposant sur la créativité, la bienveillance et l’optimisme.

Livres Hebdo - En septembre, un an après avoir inauguré Les Arènes BD, vous lancez "Out of the box", une collection de guides touristiques. Pourquoi s’aventurer dans des secteurs si concurrentiels et saturés ?

Laurent Beccaria - Chaque développement est lié à une rencontre. Là, c’est avec Pascal Canfin et Laure Watrin. Nous n’avons pas la puissance des groupes : les grosses avances et les enchères, ce n’est pas pour nous. Et on sait ce qui advient de la grenouille qui se prend pour un bœuf ! Alors nous devons être agiles et inventifs, capter les signaux faibles, devancer les tendances, voire les imposer. C’est pour cela que la création a toujours été notre force.

Quels signaux avez-vous captés pour le tourisme ?

Les capitales se sont transformées : la vie et la jeunesse se sont déplacées vers des quartiers périphériques. Or les guides continuent à se focaliser sur les quartiers dans lesquels des touristes croisent des touristes. Nous avons décidé de repousser les frontières de la ville tout en ayant la même ambition en termes de plans et d’exhaustivité que les mastodontes du secteur, "Le guide du routard" ou Lonely Planet. C’est un pari risqué et excitant à la fois.

A force de rencontres, les éditions des Arènes sont devenues un groupe. Comment est-il structuré ?

Nous avons quitté le monoproduit qui est l’apanage des petites maisons pour devenir un éditeur généraliste, avec 50 salariés et 3 pôles : L’Iconoclaste, XXI et 6Mois, et Les Arènes. Nous avons engagé 25 personnes en quatre ans. On parle maintenant du "Groupe du 27". En début d’année, Sophie de Sivry a pris la tête du groupe en plus de L’Iconoclaste. Je me concentre sur Les Arènes, les revues, et ce que j’aime faire : créer du neuf.

Etait-ce pour vous une nécessité de grossir ?

C’est une force organique. Les Arènes sont nées en 1997 autour du document. Mais il n’y a pas de révélations à faire toutes les semaines ! Il fallait que la maison ait plusieurs pieds. Nous avons commencé par éditer des livres illustrés, puis élargi le spectre avec la psychologie, les revues, et, depuis un an, la BD. De son côté, L’Iconoclaste a développé sa ligne propre, autour de la littérature et des grands auteurs. Un cœur battant irrigue le tout. Ce sont les mêmes équipes qui partagent leur savoir-faire avec une grande bienveillance mutuelle.

Vous venez aussi de réaliser votre premier catalogue jeunesse. Il faut dire que vous êtes tombé dans la marmite quand vous étiez petit…

Oui ! Mes parents ont initié à Bayard Presse la gamme des journaux jeunesse. J’ai bu ce lait. L’année dernière, ma mère et des anciennes de Pomme d’api ont eu des envies d’édition. De fil en aiguille, une collection est née, comme une transmission de témoin avec deux jeunes éditrices maison. Nous avions déjà un catalogue d’éducation, le succès de Calme et attentif comme une grenouille est une belle histoire et nous lançons à 30 000 exemplaires le 2 septembre Les lois naturelles de l’enfant de Céline Alvarez, pour une révolution de l’éducation à la lumière des neurosciences. Les albums jeunesse aux Arènes, ça a du sens. J’y prends un plaisir de débutant.

Quel bilan tirez-vous du lancement de votre propre force de diffusion il y a deux ans ?

A l’exception de Françoise Nyssen [P-DG d’Actes Sud, NDLR], tout le monde nous avait déconseillés de nous autodiffuser. Eh bien, c’est la décision la plus judicieuse que nous ayons prise ! Un diffuseur a deux clients qu’il veut satisfaire en même temps, le libraire et l’éditeur, et doit en plus être un centre de profits. Notre équipe a le luxe de ne penser qu’aux libraires et on ne lui demande pas de rapporter de l’argent. Ses remontées du terrain sont des merveilles, en profondeur et en quantité. Ils prennent le pouls du marché. Désormais, quand un livre arrive sur table, il a pu être ajusté au mieux en fonction des remarques des libraires. La baisse des retours est très nette et la progression du fonds plus spectaculaire encore.

Vous êtes depuis deux ans au bureau du Syndicat national de l’édition. Que souhaitez-vous y insuffler ?

Nous sommes parfois trop sur la défensive, et ne mettons pas assez en lumière la créativité de l’édition. Le livre est le contrepoint de la civilisation du numérique. En 1999, Bill Gates avait prophétisé qu’en 2015 on n’imprimerait plus un seul livre neuf. Résultat : l’année dernière, il a filmé ses vœux avec trois livres sur sa table ! Le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, a créé un club de livres. La place des éditeurs et des libraires est à la pointe de tout ce qui bouge, pense, agite la société.

A la rentrée 2014, vous avez publié le livre de Valérie Trierweiler Merci pour ce moment. Quel regard portez-vous sur cette période ?

Tout était inattendu : l’ampleur du succès et la violence des attaques. C’est un livre qui a cristallisé des émotions qui le dépassaient. Pour Les Arènes, je le compare à la crue du Nil : ça va très vite et ça fait des dégâts sur son passage. Et quand le ressac est arrivé, on a vu que cela avait fécondé l’ensemble. Et puis la maison a désormais des réserves pour les années de vaches maigres. Quand on est indépendant, c’est bien d’avoir du grain au grenier.

Et à quoi servira ce grain ?

J’ai envie de développer les sciences humaines, même si c’est un secteur en crise : la surabondance des textes gratuits et l’immédiateté rendent les textes de réflexion plus durs à vendre. Mais il faut peut-être s’y prendre autrement. Penser à une échelle mondiale pour imaginer des BD documents m’intéresse aussi. Et puis on ne sait jamais qui va frapper à notre porte demain ! En 2017, nous fêterons nos 20 ans en regardant vers l’avenir. Je suis bluffé par la qualité des trentenaires et des quadras de la maison. Le meilleur est devant nous.

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